1758-07-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Votre Altesse sérénissime honore de trop de bontez et de trop d'éloges un homme qui n'a fait que son devoir.
Je serais indigne de votre bienveillance, et même de mon attachement à votre personne, si j'en avais usé autrement. Il n'y a pas d'ailleurs grand mérite; il n'y a que du bonheur à vous avoir enfin trouvé à Geneve ce Labat qui prête de l'argent, tandis que chacun resserre le sien ou le perd. Je luy ay surtout bien recommandé madame de mettre dans cette affaire toutte la facilité et la promptitude possible, me chargeant de tous les hazards qu'un républicain croit toujours courir quand il négocie avec des princes. Je n'ay pris ce party madame que pour accélérer la remise qu'il doit faire à vos altesses sérénissimes. Je sçais bien que je ne cours aucun risque, je ne suis point étonné qu'au vingt deux juillet votre ministre n'ait point encor reçu de réponse de ce mr la Bat. Depuis que je suis chez Mgr L'Electeur palatin je n'ay encor reçu aucune lettre de ma famille que j'ay laissée dans mes petites Délices auprès de Geneve. Peutêtre les débordements de touttes les rivières sont elles cause de ce retardement; peutêtre ce la Bat est il dans le canton de Berne, dans sa baronie de Grand Cour qu'il a achetée. Je luy écris dans le moment pour le presser de remplir la parole qu'il m'a donnée. Je luy mande qu'il faut passer par dessus touttes les formalitez, qu'il faut envoyer son argent sur un simple billet de vos altesses sérénissimes, que je me charge de tout, et qu'enfin je luy réponds de la valeur de vos simples promesses qui sont assurément bien au dessus des contracts.

Dès que je serai à Genève, madame, je ne manquerai pas d'aller présenter mes respects et mes services à mssgnrs Les princes de Meklembourg. Mais ce ne serait pas à Geneve que j'irais, si j'étais le maître de mon temps et de mes marches, ce serait auprès de la plus vertueuse et de la plus aimable princesse de L'Europe, toujours égale dans le bonheur et dans l'adversité, toujours bienfaisante et digne surtout d'avoir toujours avec elle la grande maitresse des cœurs. Je redouble mes vœux pour votre auguste famille. Je supplie monseigneur le duc d'agréer mes profonds respects. Que votre altesse sérénissime conserve toujours ses bontez à son suisse

V.