1758-10-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame

A la réception de la lettre dont votre Altesse sérénissime m'honore j'écris encor au genevois Labat et je luy dis que ce n'est pas assez d'étre baron, qu'il faut encor étre poli.
Quand on a fait signer à un grand prince un reçu d'argent comptant il est juste, à ce qu'il me semble que cet argent soit touché. Je ne m'entends guères madame à ces négotiations genevoises, mais je soupçonne que le seigneur baron la Bat aura demandé que Vos A. Ses eussent à compter du jour qu'il aura envoyé ses lettres de change. Apparemment les banquiers ne les ont pas négociées assez tôt et le ministre de vos altesses sérénissimes les a pressez sans doute de finir. Sérieusement madame il est très ridicule qu'elle ait été si négligemment servie. Ses ordres doivent être exécutez avec plus de promtitude. J'ay fait ce que j'ay pu pour communiquer à mon baron toutte mon envie de vous plaire. Ah madame s'il avait fait comme moy un séjour à Gotha, s'il avait eu le bonheur d'aprocher de madame la duchesse il serait certainement plus diligent; il regarderait comme un crime de faire attendre un moment vos A. Ses. Dieu veuille que ses cinquante mille florins ne soient pas pris par des houzards. Nous sommes dans un temps où la moitié du monde tue son prochain, et où l'autre le pille. Votre Laudon, madame qui dit que Dieu punit les hommes, est un des instruments de la justice divine, la punition est un peu longue et n'a pas l'air de finir sitost. S'il y a cinq justes en faveur de qui on puisse pardonner, ces cinq justes sont dans le châtau d'Ernest le pieux. Je suis au désespoir qu'Altembourg soit dans le chemin des méchants. Quand ce chemin sera t'il libre? quand pourai-je y venir faire ma cour à vos alt. Ses ? Ce serait une belle occasion dans ma vieillesse, et la plus chère de mes consolations de pouvoir renouveller à vos alt. Ses mon profond respect et mon tendre attachement. C'est ce que demande à dieu

le suisse V.