1760-03-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Je savais bien que votre Altesse sérénissime faisait le bonheur de tous ceux qui ont l'honneur de l'approcher, mais je vois qu'elle veut que les absens s'en ressentent comme les présents.
Votre bonté me comble de joye madame, ce qu'elle daigne me proposer est une grâce que je sollicite moy même avec transport. Des mémoires sur le Règne de Pierre le grand sont la plus agréable consolation que je puisse recevoir dans le chagrin de n'être pas à vos pieds dans Gotha, et dans la douleur que j'ay de voir la cousine de melle Pertriset si capricieuse et si difficile à marier. Je crois qu'il vaut mieux avoir affaire aux princes morts qu'aux princes vivants. Si le czar Pierre était en vie, je fuirais cent lieues pour n'être pas auprès de ce centaure moitié homme et moitié cheval qui détruisait tant d'hommes pour son plaisir, tandis qu'il en civilisait d'autres. Aujourduy il est un héros. Ses moindres actions sont prétieuses, je ne peux trop remercier votre altesse sérénissime de la grâce que vous m'acordez. Protégez moy de tout votre pouvoir madame auprès de madame la comtesse de Bassevits. Si elle veut m'envoyer dès àprésent tout ce qu'elle a d'intéressant en allemand, je le ferai traduire sur le champ et je luy renverrai fidèlement l'original. Je vais luy écrire pour la remercier, mais je commence par V. A. S. comme de raison. Je ne sçais comment faire pour faire tenir à made de Bassevits un petit paquet; je l'imagine entourée de houzards prussiens et de calmouks. Que n'est elle à Gotha et moy aussi!

Un certain Labat baron de Gran Cour, marchand de Geneve, un peu usurier de son métier, m'est venu trouver. Il parle de comptes, de différence d'argent, etc. Fi donc, le vilain n'a été que trop bien payé. V. A. Se est trop bonne. Et Alzire?

A vos pieds avec le plus profond respect.

V.