aux Délices 24 may 1757
Madame,
Je suis presqu'aussi malade qu'une armée autrichienne.
Nous avons icy un Russe qui jure par st Nicolas que ses compatriotes arrivent pour être de la partie. Il y a des gens qui jurent par Federic qu'ils seront battus mais voylà Bien du monde à battre; et à force de tuer et d'être tué, il ne restera bientôt plus personne. J'ay bien peur encor que pour éclaircir le genre humain Le duc de Cumberland renforcé de quelques prussiens, n'aille faire, la bayonette au bout du fusil, des propositions à l'armée française qui s'avance pour le bien de la paix.
Quand je surprends un petit moment de répit pour écrire à votre altesse sérénissime, je laisse la lettre sur ma table, pour recevoir les ordonances du docteur Tronchin; et puis je datte tout de travers. Il n'en est pas ainsi de madame la duchesse de Gotha. Les lettres dont elle m'honore arrivent avec exactitude du jour de leur datte. Elle est régulière dans les petites choses comme dans les grandes. Je la remercie des relations dont elle a daigné me faire part. La ville de Geneve qui n'a guères d'autre employ que de gagner de l'argent, et de faire des nouvelles, disait déjà que Prague était prise et que les prussiens allaient à Vienne. Peutêtre tout cela est il devenu vray au moment que j'ay l'honneur d'écrire à V. A. Se. Peutêtre aussi la perte des autrichiens n'est pas aussi grande que le prétendent les vainqueurs, ils disent que le Prince Charle est dans Prague avec des forces suffisantes, et que le maréchal de Brawn blessé légérement a rassemblé le reste de l'armée. Ce seront les suittes de la victoire qui la rendront plus ou moins complette. J'imagine qu'un gourmand qui voudrait faire bonne chère, ne devrait pas aller diner àprésent à l'armée autrichienne.
Je crois madame, Dieu me pardonne, qu'il y a des trouppes de votre Altesse sérénissime dans l'armée hanovriene, en ce cas madame voylà mon cœur partagé entre ma fringante patrie et la Turinge. Je n'ay qu'à souhaiter que tout le monde retourne chez soy honnêtement. Je plains seulement ce gros fiscal de L'empire qui a perdu à tout cela son papier et son encre. Plût à dieu qu'il n'y eût que de l'encre perdu. La race humaine est bien méchante et bien malheureuse, mais il faut l'aimer en faveur de V. A. S. de votre auguste famille et de la reine des cœurs. Daignez madame agréer mon profond respect.
V.