à Lausane 27 janvier 1758
Madame
Après avoir présenté cette petite requète aux houzards, je remercie d'abord votre altesse sérénissime de la lettre dont elle m'honore en datte du 14 janvier, et j'ose assurer que je rends bien à la grande maitresse des cœurs touttes ses caresses.
Ma lettre du 27 septembre de l'année passée aurait eu le temps d'aller aux Indes. Je l'avais donnée à monsieur le maréchal de Richelieu, dans l'idée qu'il viendrait vous faire sa cour, et me flattant madame que quand il verrait votre altesse sérénissime, on ne se battrait plus sur votre territoire. Apparemment que le dépit de ne pas jouir de l'honneur de vous voir, luy aura fait longtemps garder ma lettre, et qu'il l'aura retrouvée en faisant ses paquets.
Je suis toujours suisse, madame, mais quand serai-je turingien? et quand la Turinge n'entendra t'elle plus parler de marches, de contremarches et de combats? hélas on ne nous fait pas espérer la paix pour cette année, ce meilleur des mondes possibles a encor quelques années à soufrir. Votre altesse sérénissime reverra peutêtre encor le héros formidable et aimable à qui elle a fait les honneurs de son palais, et qui semblait dans ce temps critique n'avoir rien à faire qu'à tâcher de luy plaire. Je vous avoüe madame que j'aurais bien voulu me trouver là mais j'ay bien peur d'être condamné à rester sur les bords de mon lac. Du moins ces bords sont paisibles; et ceux des fleuves allemants ne le seront pas. On dit que le Dannemark entre aussi dans la querelle, on dit qu'on va faire de tous côtez de nouvaux efforts. Que me reste t'il, qu'à plaindre le genre humain dans ma retraitte?
J'avais procuré au Roi de Prusse un abbé de Prade prêtre, docteur, hérétique, et lecteur de sa majesté. On prétend qu'il a trahi son bienfaicteur, et qu'il est puni à Breslau d'un supplice bien étrange pour un prêtre. Je ne veux point le croire, mais je ne sçais à qui en demander des nouvelles. C'est d'ailleurs bien peu de chose parmi tant de désastres publics. Je gémis sur ces misères, je souhaite à vot A. S. le bonheur qu'elle mérite, je me mets à ses pieds et à ceux de son auguste famille avec le plus profond respect,
l'hermite V.