1758-07-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Je n'arrive que dans ce moment à Shvessingen, maison de plaisance de Mgr L'Electeur palatin, ayant été assez longtemps malade en chemin.
Je trouve la lettre du 4 juillet dont m'honore votre altesse sérénissime. Je commence par luy souhaiter d'abord et à toutte son auguste famille, une neutralité tranquile qui la mette à l'abri des dévastations cruelles que l'Allemagne éprouve. Je ne vois partout que des malheurs, et dieu sait quand ils finiront. Les misères publiques sont cimentées de sang, et tous les partis ont des larmes à répandre.

J'ose assurer Monseigneur le duc que c'est un coup du hazard que j'aye trouvé ce Mr la Bat après avoir frappé en vain à trente portes. Je pense madame qu'il en coûtera moins à vos altesses ses, en traittant par un de vos ministres avec ce genevois que si vous aviez emprunté à Berne, et que tout sera plus prompt et plus facile. Car Berne ne prête aux princes qu'avec la garantie de leurs états ce qui entraîne toujours des longueurs et des frais, et j'imagine que Labat fera toucher de l'argent sur une simple lettre d'un de vos ministres. Cette insolence que j'ay eue madame de me faire caution, est entre la Bat et moy, mais cela n'exige assurément aucun billet de la part de vos alt. ses; la Bat n'a pas l'honneur de les connaitre, c'est un négociant chargé de famille, qui veut prendre ses sûretez. Mais moy madame, je vous suis attaché depuis longtemps. Je connais votre cœur, et votre manière de penser généreuse, la bonté de votre belle âme ne voudra pas m'offenser par un billet. Les sentiments dont elle daigne m'honorer sont le meilleur des billets.

Je me flatte que sa santé est actuellement meilleure. Je crains bien que les désastres publics ne l'aient altérée. Prions Dieu qu'il rende bientôt à l'Allemagne la paix dont elle a besoin. On s'attend encor à des batailles de tous côtez. S'il y avait quelque nouvelle favorable au genre humain, j'aurais l'honneur de la mander. Mais on ne doit s'attendre qu'à du carnage. Que dit à tout cela la grande maitresse des cœurs? je crois qu'elle gémit. Autant en fait le bon suisse V. qui se met aux pieds de vos altesses sérénissimes avec le plus profond respect.

V.

P. S. Si jamais vos alt. Ses avaient quelque chose à faire dire au ministre des affaires étrangères en France, je les supplie de me charger de leurs ordres, en cas qu'elles n'aient point de ministre à Paris. Je m'en acquiterai avec le zèle qu'elles me connaissent. M. l'abbé de Berni qui m'honore de ses bontez est un des plus aimables hommes de l'Europe.