aux Délices 24 juin [1758]
Madame,
Je viens enfin de trouver à Geneve le seul homme qui puisse prêter de l'argent à votre altesse sérénissime.
J'ay retardé pour venir à bout de cette affaire un voiage que je suis obligé de faire chez Mgr l'Electeur palatin, je pars avec la satisfaction de donner à vos altesses sérénissimes une preuve de ma respectueuse et tendre reconnaissance, et avec la douleur de ne pouvoir venir me mettre à vos pieds. Il ne s'agira madame que de faire écrire ou par un de vos ministres, ou par votre banquier de Francfort, à M. de la Bat baron de Grand Court à Geneve. Que votre altesse sérénissime ne soit ny surprise ny fâchée contre moy de la liberté que je prends de servir de caution. C'est un usage de républicain quand ils contractent avec des princes, et cet usage est même établi à Paris. Ce n'est qu'une formalité entre mr de la Bat et moy dans la quelle vos altesses ses n'entrent pour rien, et je regarde comme le plus heureux jour de ma vie celuy où je peux leur marquer avec quel tendre respect je leur suis attaché.
Je me flatte que votre altesse se touchera 50 mille florins d'empire, soit à Francfort soit à Amsterdam sur le premier ordre qu'elle donnera. Je prends la liberté d'assurer v. A. S. qu'il est très convenable dans le temps présent où l'argent est si rare, qu'un grand prince comme Monseigneur le duc de Saxe Gotha indemnise mr de la Bat de la perte réelle qu'il fait en retirant son argent de France pour vous le remettre. Sa délicatesse ne luy permet pas de demander un autre intérest que de cinq pr cent pendant les quatre années qu'il vous laisse son argent, et votre générosité madame ne vous permettra pas de ne luy point acorder de votre pure volonté un pour cent de plus. C'est une bagatelle. Votre ministre peut luy écrire dans cette idée. Un simple billet que votre banquier de Francfort ou d'Amsterdam luy envera signé de Mgr le duc et de V. a. s. terminera toute l'affaire. Les choses de ce monde ne méritent pas qu'on y consume plus de temps. Que ne pui-je madame employer tout le temps de ma vie à vous témoigner mon zèle inviolable, puisse bientôt la paix nécessaire aux princes et aux peuples, rendre à votre auguste famille le repos qui est la récompense de la vertu. Conservez madame vos bontez à votre vieux suisse qui n'oublie pas la grande maîtresse des cœurs.