1759-11-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Permettez moy d'écrire à votre altesse sérénissime sur ce petit papier.
Quelque plaisir que j'aye à luy présenter les hommages les plus bavards, je crains qu'un gros paquet passant par Francfort ne donne des tentations aux curieux. Il est vray que leur curiosité serait attrapée mais il ne faut pas induire les gens en tentation.

Je prends donc madame la liberté de faire passer par vos belles et respectables mains des choses qui sûrement n'en valent pas la peine mais elles pouront acquérir quelque prix quand votre altesse sérénissime aura daigné les transmettre sous son enveloppe. Elle daigne jouer le rôle de confidente d'un côté, et de protectrice de l'autre. Elle aura probablement la bonté de me faire tenir la réponse. Il se passe des choses bien cruelles dans ce monde. Il y en a aussi de plaisantes.

Tout ce que je peux dire avec sûreté à V. A. S. c'est que nous autres Français nous avons assez mal employé notre argent jusqu'aujourduy. Les murmures sont grands à Paris, les espérances assez médiocres, nous ne sommes pas brillants, mais quand serons nous raisonables? Pour moy je ne suis qu'un pauvre Suisse, mais le plus respectueusement attaché à votre altesse sérénissime.

V.