14e auguste 1767, à Ferney
Madame,
Je suis pénétré jusqu'au fonds du cœur des lettres dont votre altesse sérénissime m'honore.
Vos bontez devraient sans doute bannir de mon esprit toutte idée d'un la Baumelle. S'il n'était question que de moy, je n'y penserais pas, mais daignez songer madame que je dois répondre au tribunal de l'Europe des véritez que j'ay dites dans le siècle de Louis 14, siècle heureux où toutte la branche Ernestine dont vous êtes aujourdui l'ornement était la meilleure alliée de la France. Je trahirais lâchement mon devoir si je laissais subsister les calomnies que la Baumelle réimprime contre presque tous ceux qui ont illustré ce beau siècle. Je sçais que V. A. Se est trop instruitte et trop juste pour se laisser séduire par ces impostures, mais combien de lecteurs madame ne sont ny justes ny éclairés! Considérez madame qu'il n'y a pas une seule cour qui ne s'empresse de réfuter dans les papiers publics les mensonges des gazettes. Ces combats durent quelquefois des mois entiers. Voudriez vous ravir aux particuliers le droit de se deffendre? Non sans doute et ce n'est pas même comme simple particulier que je dois agir, mais comme un homme qui a été chargé de la cause publique. Je dirai plus encor. V. A. S. sait avec quelle insolence la Baumelle a parlé de votre auguste maison. Voudriez vous que je l'oubliasse, parce que vous luy pardonnez? Je ne le puis madame. La vérité ne pardonne point, mais elle ne punit qu'en se montrant. C'est par sa lumière qu'elle confond ceux qui veulent l'obsurcir. Les princes aux quels ce misérable a jetté de la boue feront ce que leur grandeur et leur clémence pouront leur dicter, mais pour moy je suis trop petit pour ne me pas deffendre.
La reconnaissance que je dois à touttes vos bontez madame est le sentiment le plus profond qui m'occupe. Vous êtes ma protectrice et ma consolation. Je suis également dévoué à la vérité et à votre altesse sérénissime avec le plus profond respect, et la plus vive, reconnaissance.
votre vieux Suisse