1758-09-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Revenu dans mon hermitage suisse le cœur pénétré de douleur de n'avoir pu faire ma cour à Votre altesse sérénissime, je n'ay point retrouvé le baron genevois qui est actuellement dans sa magnifique baronie.
Je suppose madame qu'il a consommé entièrement l'affaire en question. S'il y avait quelque difficulté (ce que je ne crois pas) j'irais le trouver dans son beau châtau au premier ordre de v. a. s., et je luy laverais la tête d'importance. Si je m'étais trouvé en Hollande plustôt qu'en Suisse madame j'aurais pu donner plus d'étendue à mon zèle, et vous procurer une somme plus forte. Il me semble que le peu qu'on a trouvé à Geneve n'est guères digne de vous être offert.

Il faut espérer qu'une paix devenue nécessaire à tout le monde fera cesser enfin le malheur public dont il n'y a guères de particulier qui ne se ressente. Par quelle fatalité madame faut il que toutte votre prudence, toutte la sagesse de votre administration ait été inutile, et que n'ayant rien à gagner dans ces secousses de L'Europe, vous y ayez tant perdu.

La dernière victoire du Roi de Prusse sur les Russes nous aportera t'elle une paix tant désirée? sa gloire sera t'elle inutile au genre humain?

Je ne sçais pas un mot des affaires dans ma solitude. J'ay ignoré longtemps que ce jeune prince que j'avais eu l'honeur de voir élevé dans votre palais et dont monseigneur était le tuteur, s'était marié, avait eu un fils et était mort. J'ignore si la tutelle de l'enfant qu'il a laissé apartient à votre branche, tout ce que je sçais c'est que personne au monde ne s'intéresse plus que moi madame à tous les avantages de V. A. S. J'ay vu des princes charmants qui doivent remplir touttes vos espérances. La princesse votre fille, promettait de ressembler en tout à son auguste mère. Permettez madame tant de curiosité. Ces dignes objets de consolation sont présents sans cesse à mon souvenir. Mon cœur est toujours plein de Gotha. Je ne suis qu'un vieux suisse, mais quand je serais un jeune parisien, je regretterais votre cour et votre auguste famille et la grande maîtresse des cœurs. Agréez madame mon profond respect.

V.