au châtau de Ferney par Geneve 26 juin 1761
Madame
Mon silence doit avoir dit à votre altesse sérénissime que je n'étais pas en état d'écrire.
J'avais presque perdu la vüe, en conservant la plus forte envie de Revoir Gotha et sa souveraine. J'occuppe ma vieillesse et je trompe mes maux par un travail très agréable pour le quel je demande votre protection.
L'académie française agrèe que je fasse une édition des bonnes tragédies du grand Corneille avec des notes sur la langue, et sur l'art qu'elle a créé. Cet ouvrage sera principalement utile aux étrangers. Il se fait par souscription, et L'Edition sera magnifique. Le produit de cette entreprise est pour tirer de la misère les restes de la famille du grand Corneille; famille noble et qui languit dans la pauvreté. Nous imprimons les noms des souscripteurs. Je supplie Vôtre altesse se de permettre que son nom honore cette liste. Chaque académicien souscrit pour six exemplaires: ce livre sera du moins un monument de générosité, si de ma part ce n'est pas un monument de science et de goust. Puisse la paix donner à l'Europe le loisir de cultiver les arts de toutte espèce. Ce long fléau détruit tout. Hélas au premier coup de canon je dis en voylà pour sept ans.
Puissai-je me tromper au moins d'une année. Mr Stanley est à Paris; il est assidu à nos spectacles; il voit nos géomètres. Il ne parle point de paix. C'est apparemment par politesse qu'il ne nous parle point de nos besoins. Je me mets à vos pieds, madame, et à ceux de toutte vôtre auguste famille: grande maîtresse des cœurs recevez mes hommages, et présentez les à la divine Dorothée.
le suisse V.