1761-06-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence.

J'ai toujours l'air du plus grand paresseux du monde, Monsieur, et vous sçavez que je ne le suis pas.
Je n'ai pas réellement le temps d'écrire une Lettre. Je suis surtout occupé actuellement à une Edition des Tragédies du grand Corneille avec des remarques instructives sur la Langue et sur l'art du Théâtre; c'est un surcroit de fardeaux à tous ceux que je porte; mais c'est un fardeau qui m'est cher; L'Edition sera magnifique, elle se fait par souscriptions, et le produit sera pour madlle Corneille, et pour son père, seuls descendants de ce grand homme, qui n'ont que son nom pour héritage; on ne paiera rien d'avance. L'académie française prend un grand intérêt à cet ouvrage. Le Roy sera probablement à la tête des souscripteurs, et je me flatte que vous me permettrez de mettre le vôtre dans la Liste; il n'en coûtera que quarante Livres pour chaque éxemplaires. Prenez vous en à Cinna et à Rodogune, et à une nouvelle histoire très longue des horreurs et des superstitions du genre humain, si après un si long silence je vous écris une si courte Lettre. Je suis d'un mauvais commerce, mais je vous suis tendrement attaché pour la vie.

V.