Ferney 19e 7bre 1761
Je vous demande deux grâces, mon cher maître, la première, de convenir que les remords de Cinna auraient fait un éffet admirable, s'il les avait éprouvés dans le temps même qu'Auguste lui dit Je partagerai l'Empire avec vous, et je vous donne Emilie.
Une fourberie lâche et abominable dans laquelle Cinna persiste, ôte à ses remords tardifs toute la beauté, tout le patétique, toute la vérité même qu'ils devraient avoir; et c'est sans doute une des raisons qui font que la pièce est aussi froide qu'elle est belle.
Mr le Duc de Villars vient d'en raisonner avec moi. Il connait le théâtre mieux que personne. Il ne conçoit pas comment on peut être d'un autre avis; relisez je vous en prie mes observations sur Cinna que je renvoie à mr Duclos. Je vous dirai, comme à lui, qu'il faut à la fois de l'encens à Corneille, et des vérités au public.
L'Impératrice de Russie souscrit comme le roy pour deux cent éxemplaires. L'empressement pour cet ouvrage est sans éxemple.
La seconde grâce que je vous demande est de vouloir bien mettre Mr Watelet dans la Liste de nos académiciens qui encouragent les souscriptions pour mlle Corneille. Non seulement mr Watelet prend cinq éxemplaires, mais il a la bonté de déssiner et de graver le frontispice. Il nous aide de ses talents et de son argent. Gardez donc que L'ami Thiriot ne l'oublie. Ces petits soins peuvent vous amuser dans vôtre heureux loisir; je porte un fardeau immense, et j'en suis charmé. Aidez-moi, instruisez-moi, écrivez-moi.
V.