3 octb [1761]
Permettez moy mes anges de vous demander si vous avez donné Polieucte à mr Duclos.
J'ay renvoyé deux fois Cinna et Pompée. L'académie met ses observations en marge. Je rectifie en conséquence, ou je dispute, et chaque pièce sera examinée deux fois, avant de commencer L'édition. C'est le seul moyen de faire un ouvrage utile. Ce sera une grammaire et une poétique au bas des pages de Corneille, mais il faut que l'académie m'aide, et qu'elle prenne la chose à cœur. Je fatigue peutêtre sa bonté, mais n'esce pas un amusement pour elle de juger Corneille de petit commissaire sur mon rapport? Si vous voyez quelque académicien, mettez luy le cœur au ventre. Je serai quitte de la grosse besogne avant qu'il soit un mois.
J'appelle grosse besogne le fonds de mes observations. Ensuitte il faudra non seulement être poli, mais polir son stile, et tâcher de répandre quelques poignées de fleurs sur la sécheresse du commentaire.
Mr de Lauraguais qui est icy me parait un grand serviteur des Grecs. Il veut surtout de l'action, de l'appareil. Vous voyez qu'il court après son argent, et qu'il ne veut pas avoir agrandi le théâtre pour qu'il ne s'y passe rien. Il dit qu'àprésent Semiramis et Mahomet font un effet prodigieux. Dieu soit loué. On se défera enfin des conversations d'amour, des petites confidences d'amour, des petites déclarations d'amour. Les passions seront tragiques et auront des effets terribles, mais tout dépend d'un acteur et d'une actrice. C'est là le grand mal; cet art est trop avili.
Peut on ne pas avoir en horreur le fanatisme insolent qui attache de l'infamie au cinquième acte de Rodogune! Ah barbares! ah chiens de crétiens! (chiens de crétiens veut dire, chiens qui faittes les crétiens!) que je vous déteste! que mon mépris et ma haine pour vous augmente continuellement! Madame de Sauvigny dit que Clairon viendra me voir, qu'elle y vienne, mon téâtre est fait, il est très beau, et il n'y en a point de plus commode. Nous commençons par l'Ecossaise. Nous attendons qu'on joüe à Paris le droit du seigneur pour nous en emparer.
Je suis bien vieux. Pourai-je faire encor une tragédie? Qu'en pensez vous? pour moy je tremble. Vous m'avez furieusement remis au tripot, ayez pitié de moy.