1761-06-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Robert Jacques Turgot.

Il me faut tous les Thurgots, Monsieur, car il s'agit d'une bonne œuvre.
Il est question de montrer aux Anglais que nous sçavons comme eux honorer les beauxarts, et le sang des grands hommes. Mr D'Alembert vous aura dit peut être quelle est mon entreprise. Je veux expier mes médiocrités et celles de mon siècle, en donnant une Edition de Pierre Corneille avec des notes qui ne seront peutêtre pas sans utilité. L'Edition sera magnifique, et l'éxamplaire ne coûtera que quarante livres; elle se fait par souscription au profit des seuls descendants de Corneille qui portent son nom, et qui n'ont que ce beau nom pour héritage. Chaque académicien souscrit pour plusieurs éxemplaires. Nous nous flattons que le Roi, comme protecteur, sera à la tête des souscrivants. Aureste, nous sommes fiers, nous ne demandons point d'argent, on n'en donnera qu'en recevant le Livre; et on le recevra bientôt s'il se trouve beaucoup d'âmes nobles. Si Bernard, fils de Bernard, ne m'avait pas fait une horrible banqueroute, je ne serais pas à cette peine. Donnez nous des Turgots, Monsieur, vous dis-je, et quelques uns de leurs amis, qu'on voie leurs noms imprimés à la tête du programme, et qu'ils encouragent la nation à faire du bien.

Ayez la bonté d'envoyer vôtre réponse à mr Jannel qui me la fera tenir.

Mille respects.

le Suisse V.