1761-07-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Adrien Helvétius.

Mon cher philosophe L'ombre et le sang de Corneille vous remercient de votre noble zèle.
Le roy a daigné permettre que son nom fût à la tête des souscripteurs pour deux cent exemplaires. Ny maître le Dain ny maitre Omer ne suivront ny l'exemple du roy ny le vôtre. Il y a l'infini entre les pédants orgueilleux et les cœurs nobles, entre des convulsionaires et des esprits bien faits. Il y a des gens qui sont faits pour honorer la nation, et d'autres pour l'avilir. Que pensera la postérité quand elle verra d'un côté les belles scènes de Cinna, et de l'autre le discours de maître le Daim prononcé du côté du greffe? Je crois que les Français descendent des centaures qui étaient moitié hommes et moitié chevaux de bast. Ces deux moitiez se sont séparées. Il est resté des hommes, comme vous par exemple, et quelques autres; et il est resté des chevaux qui ont acheté des charges de conseiller, ou qui se sont faits docteurs de Sorbonne.

Rien ne presse pour les souscriptions de Corneille. On donne son nom et rien de plus, et ceux qui auront dit je veux le livre, l'auront. On ne recevra pas une seule souscription d'un bigot. Qu'ils aillent souscrire pour les méditations du R. P. Croizet.

Peutêtre que les remarques qu'on mettra au bas de chaque page seront une petite poétique mais non pas comme la Motte en faisait à l'occasion de mon Romulus, à l'occasion de mes Macabees. Ah mon amy défiez vous des charlatans qui ont usurpé en leur temps une réputation de passade.

Je vous embrasse en Epicure, en Lucrece, Ciceron, Platon, e tutti quanti.

V.