aux Délices 30 juillet [1757]
Madame,
Les lettres vont toujours, comme les armées.
Tout arrive et je me flatte que les bataillons et les escadrons dont l'Allemagne est remplie n'empêcheront point mes hommages de parvenir aux pieds de votre Altesse sérénissime. Monsieur le maréchal de Richelieu a voulu que je l'allasse voir sur la frontière. Je l'aurais accompagné volontiers s'il avait été en ambassade à Gotha, mais son voiage n'étant point du tout pacifique, et ma passion de voiager n'étant que pour votre cour, je suis resté dans mon petit hermitage des Délices où je conserve prétieusement un banc qu'avait fait faire le prince votre fils, d'où l'on voit le lac et le Rone, et sur le quel je regrette souvent ce prince qui avait toutte la bonté du caractère de sa mère. Les affaires publiques ont bien changé madame depuis deux mois, et changeront peutêtre encor. Il en résulte qu'il y aura plus de morts, et plus de vivants malheureux. Je me flatte toujours que les états de votre altesse sérénissime seront préservez des fléaux qui en désolent tant d'autres. Votre sagesse et votre modération feront toujours votre bonheur et celuy de vos sujets, tandis que l'ambition fait ailleurs tant d'infortunez.
Je ne sçais si mr de Thun qui avait eu l'honneur d'élever feu Mgr le prince héréditaire a celuy d'être en correspondance avec votre alte se. Il paraît qu'il a un poste de confiance à Paris. La reine mère du roy de Prusse a été regrettée généralement. L'impératrice a fait son éloge. C'était en effet une princesse pleine d'humanité et de douceur. Il faut avouer qu'en fait de bonté d'âme les hommes ne valent pas les femmes. Elles paraissent créés pour adoucir les mœurs du genre humain et elles sont la plus belle preuve du meilleur des mondes possibles. La grande maîtresse des cœurs et moy nous savons bien à qui nous pensons quand nous parlons de la meilleure des princesses possibles. Je la supplie de recevoir avec sa bonté ordinaire mon profond respect et je demande la même grâce à toutte son auguste famille.
V.