5 septbre [1762]
Madame,
Voilà donc la paix presque faitte: votre altesse sérénissime s'en réjouit, et il y a grande apparence que votre altesse ne fera plus les honneurs de chez elle qu'à ceux qui viendront uniquement pour luy faire leur cour.
On y venait en trop grande compagnie et sans être prié, ce qui est assurément contre les règles de la civilité. Le grand fléau qui désolait l'Europe va donc cesser, jusqu'à la première fantaisie d'un Roy et d'un ministre qui voudront faire parler d'eux. Il ne nous reste plus que les petits fléaux ordinaires. L'avanture de Calas est de ce nombre, et j'espère qu'on réformera ce détestable arrêt d'assassins en robe. J'y travaille du fond de ma retraitte, et malgré mes infirmitez Je ne veux point mourir que je n'aye vu la fin de cette affaire.
Je crois celle de Russie finie. La czarine a fait une plaisante oraison funèbre de monsieur son mari.
Votre Altesse se veut un Mélier. Le voilà, accompagné d'un petit sermon qu'on a imputé au Roy de Prusse quoy qu'à tort. Je ne vous envoye madame ces deux ouvrages extrêmement rares, que parce qu'ils ne sont point empoisonnez d'aucun levain d'athéisme. On y déteste les erreurs humaines et l'infâme charlatanisme qui donne encor aujourdui tant d'honneurs et tant d'argent aux corrupteurs de la raison. Les fanatiques ont commencé par l'humilité et par la douceur, et ont tous fini par l'orgueuil et par le carnage. Tous sont également les ennemis de dieu, du père de tous les hommes, les ennemis du sens commun que dieu nous a donné, les ennemis de notre liberté et de notre repos. Enfin ils sont infaillibles: car ils ont trente milions de rente. On peut certainement adorer ces messieurs là.
Ce qui est adorable après dieu, si on peut user de ce terme, c'est la vertu aimable; donc . . . ..
Mille profonds respects.
V.