aux Délices 23 décembre 1758
Votre Altesse sérénissime madame, daigne m'honorer d'un présent unique. Il me semble qu'il n'y a point de princesse qui pût en donner autant. Je conserverai toutte ma vie, madame, avec la plus respectueuse, et la plus vive reconnaissance ce monument de vos talents et de vos bontez. Je ne désire que de recouvrer un peu de santé pour être en état de venir remercier votre Altesse se et de me mettre encor une fois à ses pieds et à ceux de Monseigneur le markgrave. Je ne cesse de parler du séjour de Carlsrue. La nature a rendu ce lieu bien agréable. Vous l'embellissez par les arts, et qui conque en a vu la souveraine désire passionément de luy faire encore sa cour. Lorsque j'avais l'honneur d'être dans le palais de vos altesses ses j'étais confirmé dans l'idée que l'Allemagne est aujourduy ce qu'était l'Italie du temps des ducs de Ferrare, et des Médicis. Faut il que tant de malheurs ravagent un pays qu'on embelissait avec tant de peine? Madame la markgrave de Bareith qui aimait comme vous tous les arts et dont le mérite approchait du vôtre meurt au milieu de sa carrierre après les plus violents chagrins. Madame la duchesse de Gotha voit ses états dévastez. La Saxe est en proye à tous les fléaux. Toutte l'Allemagne souffre. Carlsrue est très bien nommé dans ces temps horribles. C'est en effet l'azile du repos. Puisse t'il longtemps l'être. Puissiez vous madame, vous et monseigneur, et toutte votre auguste famille jouir de la tranquilité que tant de princes ont perdue. Puissiez vous être aussi heureuse que vous le méritez.
Je suis avec le plus profond respect
madame
de vos altesses sérénissimes
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire