aux Délices, près du lac de Geneve 15 juillet 1757
Madame,
Frère Voltaire sera toujours attaché à votre altesse Roiale.
Elle me permettra de me joindre à tous ceux qui regrettent la Reine sa mère et qui souhaittent à sa plus digne fille, la vie la plus longue et la plus heureuse. Ce n'est pas madame une petite affaire d'être heureuse. Il est plus aisé encor de faire de grandes choses, que d'avoir la paix de l'âme, et la gloire qui s'achète par tant de peines est moins rare que le bonheur.
Votre altesse royale perd une mère, elle voit tous ses frères exposez aux plus grands dangers, elle voit le feu de la guerre allumé près de ses états. Les jours étaient plus doux madame quand vous représentiez si bien Roxane sur le téâtre de votre palais, et que j'avais l'honneur de balbutier Acomat, quand je m'habillais en chinois, quand j'étais témoin des belles fêtes que vous donniez au Roy votre frère.
J'étais alors très heureux. J'aprochais tous les jours de votre Altesse royale, je la voiais, je l'entendais, j'admirais tous ses talents et touttes ses grâces. Je ne sçais pas ce qui arrivera madame de toutte cette cruelle guerre qui désole l'Allemagne. Mais je sçais très bien qu'il n'y aura jamais rien de plus respectable, rien de plus aimable que Madame la markgrave de Bareith. Amis, ennemis en conviendront, cela est du nombre des principes dont tout le monde est d'accord. Je me flatte que sa santé est rafermie, et qu'elle ne regrette point à présent les climats de la Provence et de l'Italie. Bareith doit être un séjour délicieux, même dans le voisinage des batailles. Son chambellan voiageur luy aura peutêtre dit, combien elle est adorée dans le petit hermitage sur les bords du lac Leman. Elle a des autels partout où l'on pense.
Que votre Altesse Roiale, et Monseigneur le markgrave daignent me conserver leurs bontez. Il y a quelques mois que s. m. le roy votre frère eut la bonté de m'écrire. Je n'ose prendre cette liberté avec luy qu'avec votre protection. Votre Altesse Roiale l'acordera toujours à frère Voltaire, et daignera recevoir son profond respect.