1752-04-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Sophia Friderika Wilhelmina von Preussen, margravine of Bayreuth.

Madame,

Je n'avais point eu de nouvelles depuis un an du marquis d'Adhemar qui avait tant d'envie de s'attacher à votre altesse Roiale, et que vous paraissiez désirer d'avoir dans votre maison.
Il n'avait pu jusqu'àprésent surmonter les difficultez que luy faisait son père, qui est comme le sait probablement V. A. R. grand maréchal du roy Stanislas à Lunéville. Enfin il me mande qu'il a levé les bstacles qu'on luy opposait, et qu'il est prest de venir se mettre aux pieds de votre altesse Royale. J'ignore si vous êtes toujours madame dans les mêmes sentiments. Comme touttes les charges de votre maison sont remplies, il demanderoit un titre de chevalier d'honneur; c'est une charge que je ne crois guères connue qu'en France et qui répond à celle de premier ou grand écuier, mais ce n'est qu'un simple titre, et il ne s'agit seulement que de n'avoir pas l'air d'être un homme inutile. Je me souviens que votre altesse Royale avait compté luy donner quinze cent écus d'apointements. Voylà l'état où est cette petite affaire. J'ay répondu au marquis d'Adhemar que j'attendais vos ordres, et je n'ay engagé votre altesse Roiale à rien. Je luy ferai part madame de vos dernières résolutions et des commandements dont il vous plaira de m'honorer. Tout ce que je sçai, c'est que je voudrais bien grossir quelquetemps avec luy le nombre de vos courtisans, mais frère Voltaire ne sait encor quand il mettra le nez hors de sa cellule. Il est le meilleur moine du monde, et s'acoutume trop à la vie solitaire. Je pourais bien après le mariage de Monseigneur le prince Henri prendre mon essor et venir vous faire ma cour. Mais je ne réponds de rien, et me résigne entièrement à la providence. Je me flatte que votre santé madame n'essuie plus de ces orages qui nous ont tant alarmez, et qu'ainsi aucune amertume ne se mêle à la douceur de votre vie. Permettez moy de renouveller pour jamais à votre altesse royale, et à monseigneur le markgrave mes plus profonds respects, et mon inviolable attachment. Si j'osais je mettrais icy quelque chose pour monsieur de Montperni. Mais comment prendre cette liberté?

V.