à Potsdam 24 octobre [1752]
Madame,
Frère Voltaire, mort au monde, amoureux de sa cellule et de son couvent dont il n'est sorti depuis huit mois, rompt enfin son silence pour Votre altesse Roiale.
Son détachement des choses humaines luy laisse encor quelque faiblesse, et cette faiblesse madame est toutte pour vous. Il croit même que ce n'en est point une; et que Dieu luy pardonnera de conserver un attachement si raisonable pour une de ses plus parfaittes créatures. Je prends la liberté de luy envoyer un petit ouvrage de dévotion que j'ay fait pour mon très révérendissime père en Dieu le philosofe de Sans Souci. Je suplie instament votre révérence roiale de ne pas permettre qu'on en fasse de copie. Il ne faut pas que les mistères des saints soient exposez à des yeux profanes. Ce pieux manuscrit est en bien petits caractères, mais elle poura se le faire lire par Monsieur le marquis d'Adémar, ou par M. le marquis de Montperni, diacres de son église. Je suis bien fâché d'être réduit à présumer seulement que mr d'Adémar soit auprès de son altesse royale. Je n'ay eu aucune nouvelle de luy depuis six mois. S'il est auprès de vous, madame, je ne suis pas surpris qu'il oublie le genre humain.
J'espère toujours faire un petit voiage en Italie, et voir la ville souterraine avant de mourir. Mais avant d'aller voir ce qui est sous terre, je compte bien venir faire ma cour à ce qu'il y a sur la terre de plus adorable, et renouveller à V. a. R., et à monseigneur les profonds respects et la dévotion ardente de frère
Voltaire