1750-12-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Sophia Friderika Wilhelmina von Preussen, margravine of Bayreuth.

Madame,

Les grandes passions mènent bien loin, et j'aurois eu l'honneur de suivre à Bareith la digne sœur d'un héros, si L'avantage de vivre auprès de ce héros ne m'avoit retenu encore à ses pieds.
Votre Altesse Royale sait que je devois partir pour la France le 15 décembre; mais peut on avoir d'autre patrie que celle de Federic le grand? On n'a icy qu'un seul chagrin; c'est de n'y plus voir Votre altesse Royale. On est consolé au moins par les nouvelles qu'on a de votre santé. On dit qu'elle se rafermit et que vous avez très bien soutenu les fatigues du voiage. Si votre altesse royale peut parvenir à avoir un corps digne de son âme, et une santé égale à sa bauté, qu'aurez vous à désirer dans le monde? Peutêtre madame sentez vous le besoin de faire de nouvaux heureux, en aprochant encor de votre personne quelques gens de bonne compagnie dignes de vous voir et de vous entendre. Ne pouvant aller sitost à Paris, j'ay chargé ma nièce de chercher une dame de condition, veuve, qui ait de l'esprit, des lettres et de la conversation. Peutêtre que L'envie obéir à vos ordres luy fera trouver ce qu'il faut à votre altesse royale. Du moins je vous réponds madame qu'elle y fera tous ses efforts, et que V. A. R. poura accepter de sa main la personne qu'elle présentera.

Je persiste toujours à penser que le marquis d'Adémar, déjà conu à votre cour, seroit un homme bien convenable. Je répons hardiment de sa sagesse, de son esprit et de sa valeur. Je ne crois pas que monseigneur le markgrave puisse jamais faire un meilleur choix. J'attendray sur cela vos ordres. Je suis plus sûr de la bonne acquisition que feroit votre cour, que je ne le suis des dispositions présentes du marquis d'Ademar. Mais ayant eu le bonheur d'aprocher de votre altesse Royale, peut on douter qu'il ne veuille se fixer à son service? Privé comme je le suis du bonheur de passer ma vie à vos pieds, et à ceux de mgr. le markgrave je serois heureux d'y savoir mon amy.

Vous savez sans doute madame que Le roy a ordonné à Darnaud de partir dans vingtquatre heures. Il est à Dresde, où il se vante des bonnes fortunes de la cour de Berlin.

Je suis avec le plus profond respect

de votre altesse Royale

le très humble et très soumis serviteur

Voltaire