1758-02-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Tronchin.

A la réception de votre lettre mon très cher confrère et de celle de Mr Térou, j'écris sur le champ au grand gouverneur de Neufchâtel.
Après quoy nous allons répéter Fanime. Si mr de Nicolai veut venir nous sifler, qu'il parte et se dépêche. Je vous supplie de luy signifier cette semonce au plus vite. Nos tendres respects à tout Tronchin, et à toutte Tronchine.

Le Roy de Prusse prétend n'avoir point reçu à Breslau la lettre que je luy ay écritte il y a un mois pr mr Turretin, capitaine au régiment de Planta, prisonier et blessé. C'est madame la markgrave de Bareith qui m'aprend que cette lettre n'est point parvenue, qu'il y en a eu baucoup d'interceptées et qu'elle même a été un mois entier sans recevoir des nouvelles du Roi son frère.

J'ay écrit sur le champ une nouvelle lettre que j'ay envoiée à son altesse Roiale. Je vous prie mon cher confrère de le dire à monsieur Turretin le sindic. Cette affaire me tient au cœur autant qu'à luy.

Il court une relation d'une boucherie faitte à Breslau, d'officiers généraux, capitaines, soldats, moines, arquebuzés ou décollés ou pendus, et de l'abbé de Prade Roué! Quel diable de Marc Antonin! Mais je n'en crois pas un mot. J'ay reçu des lettres du prince royal, de made de Bareith, de made la duchesse de Gotha, et de plusieurs personnes qui n'en parlent point. Il y a de vilaines âmes qui se plaisent à faire les rois plus méchants qu'ils ne sont, et à débiter des horreurs, mais il est plus aisé de les dire que de les commettre. Le temps nous aprendra ces véritez ou ces mensonges et nous mettra au net ce qu'on dit de notre déconfiture auprès de Bremen, à Volfenbutel et à Hemstad.

Il est doux d'être paisible au bord du lac pendant qu'on s'égorge. Voylà l'affaire de votre confession de foy finie. Tout le monde doit être content. Quand je dis tout le monde, j'entends aussi Dalembert. La paix est une belle chose.

Madame Denis et moy nous vous embrassons de tout notre cœur.

le Suisse V.