1758-03-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Jean de Guimard des Rocheretz, baron de Montpéroux.

Puisque vous ne pouvez point, monsieur, venir voir représenter Fanime, et que vous vous en tenez à patipaille avec la vénérable compagnie, avouez du moins que je jouis de la vie à Lausanne.
Daignez le certifier à qui il appartiendra. Ajoutez à vos bontés que je fais ma demeure ordinaire tout près de vous, aux Délices, route de Lyon à Genève. Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien avoir la bonté de donner ce certificat à m. Cathala, qui l'enverra sur le champ à mon notaire. Car omne tulit punctum qui miscuit utile dulci. En vérité vous auriez omne punctum si vous étiez témoin de la manière dont nous jouons Fanime.

Je perds dans le cardinal de Tencin un très bon ami que je m'étais fait depuis quelques mois. Les choses n'avaient pas toujours été ainsi. On dit que c'est un signe mortel quand les vieillards changent de caractère. S. E. ne l'a pas porté plus loin. Dieu veuille avoir son âme! C'était un terrible mécréant, sicut sunt omnes hujus farinœ homines. Je vous montrerai choses singulières quand je pourrai avoir l'honneur de dîner avec vous à mes petites Délices.

On va donc s'égorger plus que jamais en Germanie! Pendant ce temps là, nous jouons la comédie, on la joue à Neufchâtel, et on m'attendait à Nyon pour me donner Mérope. Il n'y a plus de plaisir qu'en Suisse. Mais le plaisir le plus flatteur est de vivre avec vous, monsieur, et c'est ainsi que pensent vos deux attachés

Voltaire et Denis