à Paris 2 mars 1731
Comme je vis icy moitié en philosophe, et moitié en hibou, je n'ay reçu qu'hier votre lettre du 27 et les vers que vous m'aviez envoyez par mr de Formont.
Tiriot qui ne sait pas même ma demeure ne me put rendre les vers qu'hier; ce fut une journée complette pour moy de recevoir en même temps les bonnes nouvelles que vous me mandez et les baux vers dont vous m'honorez. Il y a mon cher amy des choses charmantes dans votre épître, il y a naiveté, esprit, et grâce; ce même esprit qui vous fait faire de si jolies choses, vous en fait aussi sentir les défauts. Vous avez raison de croire votre épitre un peu trop longue et pas assez châtiée.
Je vais m'arranger pour venir raisonner belles lettres avec vous en bonne fortune pendant quelques mois. Je vais faire partir peutêtre dès demain une valise pleine de prose et de vers après quoy vous me verrez bientôt arriver. Je vous demande la permission d'envoyer cette valise à votre adresse. A l'égard de ma maigre figure elle se transportera à Rouen avant qu'il soit dix jours. Ainsi je compte que vous aurez la bonté de me retenir ce petit trou dont vous m'avez parlé pour le quinze du présent mois. Vous ne sauriez croire les obligations infinies que je vous ay. Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci. Adieu amy charmant, négotiateur habile, poète aimable, et qui pardessus tout cela avez une santé de fer dont bien éloigné est pour son malheur votre très obligé serviteur. Si vous avez quelque chose à me mander d'icy à mon arrivée ayez la bonté de m'écrire sous le couvert de mr de Livry, secrétaire du roy, rue de Condé. Comme je soupe là tous les jours vos lettres m'en seront plustôt rendues. Ne soyez pas étonné de touttes ces précautions; je n'en sçaurois trop prendre pour faire réussir un dessein qui me fera passer trois mois avec vous. Adieu.