1757-12-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Florence Pétronille La Live, marquise d'Épinay.
Des préjugez sage ennemie,
Vous de qui la philosofie,
L'esprit, le cœur et les beaux yeux,
Donnent également envie
A qui conque veut vivre heureux,
De passer près de vous sa vie;
Vous êtes dit on, tendre amie,
Et vous seriez encor bien mieux
Si votre santé raffermie,
Et votre beau genre nerveux
Vous en donnaient la fantaisie;

heureux ceux qui vous font la cour; malheureux ceux qui vous ont conüe et qui sont condamnez aux regrets. Le hibou des Délices est àprésent le hibou de Lausane. Il ne sort pas de son trou, mais il s'occupe avec sa nièce de touttes vos bontez, il se flatte qu'il y aura de beaux jours cet hiver, car après vous madame c'est le soleil qui luy plaît davantage. Il a dans sa mazure un petit nid bien indigne de vous recevoir. Mais quand nous aurons de beaux jours et des spectacles, peutêtre madame ne dédaignerez vous point de faire un petit voiage le long de notre lac. Vous aurez des nerfs; mr Tronchin vous en donnera. J'espère qu'il vous acompagnera. Tous nos acteurs s'efforceront de vous plaire, nous savons que l'indulgence est au nombre de vos bonnes qualitez.

Je vous demande votre protection auprès du premier des médecins et du plus aimable des hommes, et je luy demande la sienne auprès de vous. Mais si vous voyez la tribu Tronchin, et des Jalabert et des Cromelins etc. comme on le dit, vous ne sortirez point de Geneve, vous ne viendrez point à Lausane. L'oncle et la nièce en meurent de peur.

Recevez madame avec votre bonté ordinaire le respect et le sincère attachement du hibou suisse.

V.

Me permettriez vous madame de présenter mes respects à mr l'abbé de Nicolaï? Je voudrais bien que Monsieur votre fils qui est si au dessus de son âge et si digne de vous et son aimable gouverneur voulussent bien se souvenir du suisse de Lausane.