Lausane 26 [January 1758]

Vous?
la goutte! madame! Je n'en crois rien; cela ne vous apartient pas. C'est le lot d'un gros prélat, d'un vieux débauché, et point du tout d'une philosophe dont le corps ne pèze pas quatrevingt livres, poids de Paris. Pour de petits rumatismes, de petites fluxions, de petits trémoussements de nerfs, passe; mais si j'étais comme vous madame auprès de M^r Tronchin, je me moquerais de mes nerfs. C'est un bonheur dont je ne jouirai qu'après le retour du printemps, car je ne crois pas que le secrétaire et le chef des ortodoxes veuille jamais venir voir nos divertissements profanes et suisses. Cependant madame j'espère qu'il vous accompagnera quand nous serons un peu en train, qu'il y aura moins de neige le long du lac, et que vos nerfs vous permettront d'honorer notre hermitage suisse de votre présence. Il fera pour vous madame, ce qu'il ne ferait pas pour un vieux papiste comme moy, et il sera reçu comme s'il ne venait que pour nous.

Je vous remercie madame de vos gros gobets. J'en aurai le soin qu'on doit avoir de ce qui vient de vous.

Permettez que je remercie icy Monsieur Linant. Il n'a pas besoin de son nom pour avoir droit à mon estime et à mon amitié, et j'ay conu son mérite avant de savoir qu'il portait le nom d'un de mes anciens amis. Je conviens avec luy que tout nous vient du levant, et j'accepte avec grand plaisir la proposition qu'il veut bien me faire pour une douzaine de pruniers originaires de Damas, et autant de cerisiers de Cérasunte. Ils s'accomoderont mal de mon terrain de terre à pot, maudit de dieu; mais j'y mettrai tant de gravier et de pierraille, que j'en ferai un petit Montmorenci. Je présente mes respects à l'élève de M^r Linant, à monsieur de Nicolai qui fait ses caravanes de Malte près du lac de Geneve. Enfin je présente ma jalousie à tous ceux qui font leur cour à madame d'Epinai.

Au reste je serais fâché qu'on fouettât comme on le dit l'abbé de Prade tous les jours de marché à Breslau. Car après tout je n'aime pas qu'on fouette les prêtres.

Madame Denis se joint à moy et présente ses obéissances à mad^e d'Epinay.

M^r de Richelieu est donc renvoyé après m^r de Lussé. La cour est une belle chose.