1764-07-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Mes divins anges je suis plus affligé des rumatismes dont vous me parlez que de la petite disgrâce de l'exjesuite.
Est il possible que l'un de mes anges soufre? Cela est bien injuste.

J'ay communiqué au petit défroqué l'histoire de son infortune. Il m'a demandé le secret. Il craint que s'il était conu, celà ne l'empêchât d'avoir un bénéfice. Mais surtout il vous supplie de recommander le secret à M. de Chauvelin. Il vous demande une grâce, c'est de revenir en requête civile; et de hazarder deux ou trois représentations, car ce pauvre Poinsinet ayant protesté que Le délit n'a pas été commis par luy il se poura que le public soit moins barbare. Un acteur pourait annoncer que la pièce n'est point de celuy à qui on l'attribuait, et qu'un jeune homme docile en étant l'autheur, et ayant fait quelques changements, on compte sur un peu d'indulgence. Je pense qu'alors l'ouvrage pourait se relever. On ne risque rien à hazarder la revision. Voyez ce qui est arrivé à Oreste et même à Zaire. Vous pouriez mes anges en venir à votre honneur, car enfin si vous croiez la pièce passable, il faut bien qu'elle le soit.

On ne poura refuser à Lekain, qui a proposé la pièce, de la rejouer. Mais enfin si la chose était impraticable, en ce cas je vous supplierais de redemander à le Kain l'exemplaire, et de vouloir bien me le renvoyer pour ce pauvre exjésuite.

J'attends tous les jours des livres d'Italie. Je ne perds pas assurément de vue la gazette littéraire.

Nb. Mes anges ne vous découragez pas sur le drame de l'exjesuite à moins que vous n'y ayez senti du froid, car à cette maladie point de remède.