1764-08-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes divins anges j'ay montré votre lettre et votre savant mémoire au petit défroqué.
Je luy ay dit, vous voyez que les anges pensent comme moy. Combien de fois petit frère, vous ai-je averti qu'il ne fallait pas qu'on envoiât Julie prier dieu quand on va assassiner les gens? Cela seul serait capable de faire tomber une pièce. Je m'en suis bien douté, m'a t'il répondu, et j'ay eu toujours de violents scrupules. Que n'avez vous donc supprimé cette sottise? ai je répliqué. Elle est corrigée, a dit le pauvre enfant, aussi bien que tous les endroits que vos anges reprennent. J'ay pensé absolument comme eux; mais j'ay corrigé trop tard. Je m'étais follement imaginé que la chaleur de la représentation sauverait mes fautes. Je suis jeune, j'ay peu d'expérience, je me suis trompé. J'ose croire que si la pièce telle qu'elle est aujourduy était bien jouée à Fontainebleau, elle pourait reprendre faveur.

Je vous avoue mes anges que la simplicité, la candeur, la docilité de ce bon petit frère m'ont attendri. Je vous envoye son drame que je crois assez passablement corrigé. Je le mets sous l'enveloppe de M. le duc de Pralin et je vous en donne avis.

Je n'ay point encor pu voir votre aimable ambassadeur vénitien. Il est malade à Geneve et moy à Ferney. Des pluies horribles inondent la campagne et interdisent tout voiage. J'envoye savoir tous les jours de ses nouvelles.

Vous ne m'aviez pas dit que vous feriez bientôt un tour à Villars. Monsieur le duc de Pralin a sans doute le plus beau palais qui soit autour de Paris et dans la plus vilaine situation. On dit que tout est horriblement dégradé.

Je compte bien sur ses bontez pour nos pauvres dixmes. Gare la st Martin.

Respect et tendresse.

J'oubliai de vous dire que ce pauvre exjesuite a été très fâché qu'on ait intitulé son drame le partage du monde. C'est un titre de charlatan.