1764-09-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Anges, conjurez, protecteurs des rouez j'ay fait lire sans tarder votre lettre du 3 septb au petit frère exjesuite.
Je luy ay donné votre mémoire. Vos anges, m'a t'il dit, ne sont pas des sots, et sur le champ il s'est mis à refaire ce que je vous envoie, et ce que je vous supplie de me renvoier enrichi de vos observations. Il a changé en conséquence le commencement du cinquième acte, et il me charge de mettre ces deux esquisses dans mon paquet. Il est convenu que les discours d'Octave et d'Antoine n'étaient que raisonables et ne pouvaient intéresser. J'avoue, me disait ce jeune homme avec candeur, que tout ce qui ne concerne pas le péril de Pompee et le cœur de Julie doit indisposer les spectateurs. Il faut toujours faire paraître les tirans le moins qu'on peut. Les malheureux qu'ils oppriment, et ceux qui veulent se vanger, ne peuvent trop paraître. J'avais manqué à cette règle en m'attachant trop à déveloper le caractère d'Auguste. Mais ce qui est bon dans un livre n'est pas bon dans une tragédie. Ces dissertations d'Octave et d'Antoine étouffaient toutte l'action. Elle semble marcher à présent avec rapidité et avec intérest, grâce aux belles idées des anges. Il ne s'agira plus que de retoucher le tableau, et de luy donner du coloris. J'espère que les anges renveront le tout, c'est à dire les cinq actes, le nouvau 3ème acte, et le nouvau commencement du cinquième, après quoy le petit jesuite aidé de leurs lumières travaillera à son aise. Les anges sont constants dans leur bonne volonté et ils ont trouvé un petit drôle qui a mis son opiniâtreté à leur obéir.

Si je pouvais parler d'affaires, je remercierais tendrement des bontez qu'on a pour mes dixmes; je ne conçois pas trop comment on peut séparer la cause de Geneve de la mienne. Je suis trop occupé de Pompée pour raisoner juste sur les traittez faits avec les Suisses.

Respect, tendresse, reconnaissance.