1764-07-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes divins anges, quoy! toujours un rhumatisme! Je conçois bien que nous autres agriculteurs des alpes nous soyons souvent affligez de ce fléau, mais un ange! une dame de Paris qui n'est jamais exposée aux malignes influences de l'air! Non, ce n'est pas là une maladie de dame.
Que dit à cela mr Fournier? Mon cher ange qui n'a point de rumatisme écrit très proprement quoy qu'il en dise; et moy aussi qui ay recouvré la vue jusqu'à ce que je la reperde. Cette vie est pleine de tribulations. Conservez votre santé mes anges: cela vaut mieux que des pièces de théâtre et surtout que les pièces d'aujourduy. Je fais donc Pierre le cruel comme dit très bien Mr de Thibouville. Je l'ay même confié à m. de Chimene. Ainsi je ne crois pas qu'on puisse en douter. Pour vous, mes braves conjurez, vous avez employé un jesuitte pour faire les rouez. Je ne sçais pas quel nom on donne à la pièce. Je sçai seulement qu'elle ne ressemble pas à Berenice.

Le petit jésuitte dit qu'il est très loin de souhaitter qu'on l'imprime sitôt. Il fera tout ce que vous ordonnez pour le Kain. Il désire seulement qu'on donne un honoraire à un jeune homme qui depuis dix ans a copié cinq ou six tragédies dix ou douze fois chacune et à qui le petit jesuitte doit quelque attention. le dit défroqué ne veut jamais être connu, à moins qu'ayant été encouragé l'été par un petit succèz, il n'en ait un grand pendant l'hiver après avoir donné la dernière main à ses rouez.

Vous avez terminé noblement l'affaire du Roy de Pologne, et je vous en remercie. Crammer viendra sans doute chez vous, et vous lui recomanderez de presser son correspondant d'Italie de dépêcher les livres qu'il a promis, et alors le jes aurai.

Je suis toujours aux ordres de la gazette littéraire, quoy qu'elle ait mis une certaine notte trop flatteuse à l'extrait de Petrarque, note à la quelle l'abbé de Sade s'obstine dit on à me reconnaitre.

Je suis àprésent à sec, et accablé d'un ouvrage très considérable en faveur de la bonne cause. Mes chers anges, respect et tendresse.

V.

Nb. Nous sommes perdus maman et moy si Monsieur le duc de Pralin n'a pas décidé l'affaire des dixmes avant la st Martin.

Nb. J'ay vu le secrétaire parmesan de Laire. Je l'ay reçu comme un homme recommandé par vous.