1757-12-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Vous avez sçu mon ancien ami comment les français ont été vangez par les autrichiens.
Dixsept ponts jettez en un moment sur l'Oder, des retranchements attaquez en treize endroits à la fois, une victoire aussi complette que sanglante, l'artillerie prussienne prise, Breslau bloqué, ce sont là des consolations et des encouragements. Il faut espérer que M. le m. de Richelieu réparera de son côté le malheur de Monsieur de Soubize. Le Roi de Prusse m'écrit toujours des vers en donnant des batailles. Mais soyez sûr que j'aime encor mieux ma patrie que ses vers, et que j'ay tous les sentiments que je dois avoir.

Je n'ay point lu les rogatons pédantesques de je ne sçais quel malheureux qui a voulu justifier le meurtre de Servet. Je sçais seulement que ces écrits sont icy regardez avec mépris et avec horreur de tous les honnêtes gens sans exception. Comptez qu'il est heureux de vivre avec des magistrats qui vous disent, nous détestons l'injustice de nos pères et nous regardons avec exécration ceux qui veulent la justifier.

Vous voiez mon ancien ami quels progrès a faits la raison. C'est à ces progrès qu'on doit le peu d'effet des billets de confession et de vos dernières querelles. En d'autres temps elles auraient bouleversé le royaume.

J'ay lu et relu l'éloge de du Marsais et je bénis la noble hardiesse de Mr Dalembert.

J'attends le septième volume. Tous les articles ne peuvent être égaux mais il y en a d'admirables dans chaque volume.

Je suis bien aise que les poètes fassent fortune quand leurs ouvrages ne la font pas, et qu'un poète succède à un fermier général. J'ay aussi quelquefois chez moy une fermière générale. C'est madame d'Epinai, mais je ne l'épouserai pas. Elle a un mari jeune et aimable. Pour elle c'est à mon gré une des femmes qui a le meilleur esprit. Si ses nerfs étaient comme son âme et en avaient la force, elle ne serait pas à Geneve entre les mains de M. Tronchin. Nous ne sommes jamais sans quelque belle dame de Paris. On ira bientôt à Geneve comme on va aux eaux, et on s'en trouvera mieux.

Ferchaud Reaumur avait je crois 17 m.lt de pension pour avoir gâté du fer et de la porcelaine et pour avoir disséqué des mouches. Il a été bien payé. Vous avez messieurs autant de charlatanerie en phisique qu'en médecine, mais enfin il est toujours beau d'encourager des arts utiles.

Si quid novi, scribe veteri amico.

V.