1759-03-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

J'ai reçu par le Savoyard voyageur, mon ancien ami, votre lettre, vos brochures très crottées, et la lettre de madame Bellot.
Je vais lire ses œuvres, et je vous prie de me mander son adresse, car selon l'usage des personnes de génie, elle n'a daté en aucune façon; et je ne sais ni quelle année elle m'a écrit, ni où elle demeure. Pour vous, je soupçonne que vous êtes encore dans la rue St Honoré. Vous changez d'hospice aussi souvent que les ministres de place. Madame de Fontaine vous reviendra incessamment; elle est chargée de vous rembourser les petites avances que vous avez bien voulu faire pour m'orner l'esprit.

J'ai lu Candide; cela m'amuse plus que l'Histoire des Huns, et que toutes vos pesantes dissertations sur le commerce et sur la finance. Deux jeunes gens de Paris m'ont mandé qu'ils ressemblent à Candide comme deux gouttes d'eau. Moi, j'ai assez l'air de ressembler ici au signor Pococurante; mais Dieu me garde d'avoir la moindre part à cet ouvrage. Je ne doute pas que M. Joli de Fleury ne prouve éloquemment à toutes les chambres assemblées que c'est un livre contre les mœurs, les lois et la religion. Franchement il vaut mieux être dans le pays des Oreillons que dans votre bonne ville de Paris. Vous étiez autrefois des singes qui gambadiez. Vous voulez être à présent des bœufs qui ruminent: cela ne vous va pas.

Croyez moi, mon ancien ami, venez me voir; je n'ai de bœufs qu'à mes charrues.

Si quid novi, scribe, et cum otiosus eris, veni, et vale.

V.