à Ferney tout près de votre Franche comté 10 avril 1761
Mais mon maître esce que vous n'auriez point reçu un paquet que je fis partir il y a trois semaines à l'adresse que vous m'avez donnée? ou mon paquet ne méritait il pas un mot de vous? ou êtes vous malade? ou êtes vous paresseux?
Eh bien voilà votre ancien projet de donner un receuil d'auteurs classiques, qui fait fortune. Rien ne sera plus glorieux pour l'académie, ny plus utile pour les Français et pour les étrangers. Il est temps de prévenir (j'ay presque dit d'arrèter) la décadence de la langue et du goust. Quel grand homme prenez vous pour votre part? Pour moy j'ay l'impudence de demander Pierre Corneille. C'est la Rose qui veut parler des campagnes de Turenne. Je vous dirai, Cornelium Olivete relegi, qui quid sit magnum, quid turpe, quid utile, quid non, plenius ac melius Roussau multis que docebat, et j'ajouterai, quam scit uterque libens censebo exerceat artem.
La tragédie est un art que j'ay peut-être mal cultivé, mais je suis de ces barbouilleurs, qu'on appelle curieux, et qui étant àpeine capables d'égaler Person, connaissent très bien la touche des grands maîtres; en un mot si personne n'a retenu le lot de Corneille je le demande, et j'en écris à monsieur Duclos. Je crois que vous avez fait une très bonne acquisitions dans mr Saurin. Il est littérateur et homme de génie.
Dites moy qui se charge de la Fontaine. Je l'avais autrefois commencé sur le projet que vous aviez. Mais je ne sçais ce que cela est devenu. J'ay perdu dans mes fréquentes tournées les trois quarts de mes paperasses et il m'en reste encor trop.
Vive, vale, scribe, ciceroniane Olivete.
V.