1736-03-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Il faut encor mon amy vous rendre compte de L’épître à Clio.
Les vers sont frapez sur L'enclume qu'avoit Roussau quand il étoit encor bon ouvrier mais malheureusement Le choix du sujet n'a pas ce piquant qu'il faut pour le monde. C'est le chef d’œuvre d'un artiste fait pour des artistes, tout s'y trouve hors le plaisir qu'il faut à des lecteurs oisifs. J'admireray toujours cet écrit (excepté la bataille) mais nos Français veulent en tout genre de l'intérest et des grâces. Il en faut partout, sans quoy le bau n'est que bau.

Non satis est pulcra esse poemata, dulcia sunto
et quocumque volent animum auditoris agunto.

Dites luy combien j'estime sa précision, sa netteté, sa force, son tour heureux, naturel, son stile châtié. Ajoutez à cela que je suis très faché qu'il déshonore un si bon ouvrage par des éloges dont il rougit.

S'il ne vouloit qu'un azile heureux et fait pr un philosophe, aulieu d'une place inutile et qui n'a plus que du ridicule, je trouverois bien le secret de le metre en état de ne plus louer indignement.

Voicy un petit quatrain en réponse à l'honeur qu'il me fait de m'envoier son épître.

Lorsque la muse couroucée
Quitta le coupable Roussau
Elle te donna son pinceau
Sage et modeste la Chaussée.

Il ne faut pas oublier ce jeune mr de Verriere, car nous devons encourager la jeunesse.

Elève heureux du dieu le plus aimable,
Fils d'Apollon, digne de ses concerts,
Voudriez vous être encor plus louable?
Louez pas tant, travaillez plus vos vers:
Le plus bel arbre a besoin de culture.
Emondez moy ces ramaux trop épars,
Rendez leur sève, et plus forte et plus pure;
Il faut toujours en suivant la nature
La corriger, c'est le secret des arts.

C'est ce qui fait que je me corrige tous les jours moy, et mes ouvrages.

Vous trouverez encor sur une dernière feuille, une chose que je n'avois faitte de ma vie, un sonnet. Présentez le au marquis, ou non marquis Algaroti, et admirez avec moy son ouvrage sur la lumière. Ce sonnet est une galanterie italienne. Qu'elle passe par vos mains, la galanterie seras complette.

On a vanté vos murs bâtis sur l'onde;
Et votre ouvrage est plus durable qu'eux.
Venise & lui semblent faits pour les dieux;
Mais le dernier sera plus cher au monde.
Qu'admirons nous de ce dieu merveilleux
Qui, dans sa course éternelle & féconde,
Embrasse tout & traverse à nos yeux
Des vastes airs la campagne profonde?
L'invoquons nous pour avoir sur les mers
Bâti ces murs que la honte a couverts,
Cet Ilion caché dans la poussière?
Ainsi que vous il est le dieu des vers;
Ainsi que vous il répand la lumière.
Voilà l'objet des vœux de l'univers.