ce 3 aoust [1735] à Cirey par Vassy en Champagne
Vous voiez mon cher Cideville que La sublime Emilie, a entendu et aprouvé votre aimable ouvrage, et qu'elle juge que celuy qui a mis tant de tendresse dans la bouche de ces amants ignorants doit avoir le cœur bien savant. Nous sommes mr Linant et moy dans son châtau. Il ne tient qu'à elle d'enseigner le latin au précepteur qui restituera au fils ce qu'il aura reçu de la mère. Nous aprendrons tout deux d'elle à penser. Il faut que nous mettions à profit un temps si heureux. Je me flatte que Linant fera sous ses yeux quelque bonne tragédie, à moins qu'elle n'en veuille faire un géomètre et un métaphisicien. Il faudroit être universel pour être digne d'elle. Pour moy je ne suis actuellement que son masson.
Je vous plains mon cher amy de n'être pas icy. Que vous êtes malheureux de juger des procès! que ne quittez vous tout cela pour venir faire votre cour à Emilie? Adieu mon cher amy, je vais faire poser des planches, et entendre ensuitte des choses charmantes, et profiter plus dans sa conversation que je ne ferois dans tous les livres. Le siècle de Louis 14 est entamé. Je ne sçai comment nommer cet ouvrage. Ce n'est point une histoire, c'est la peinture d'un siècle admirable. Vale, ama, scribe.
Nota que la divine Emilie vous fait mille compliments, et qu'elle vous écriroit si les massons ne l'en empêchoient.