4e juillet 1768 Par Lyon et Versoy
Je devrais déjà, mon cher confrère, vous avoir parlé d'Hieron, du Rhodien Diagoras, et de tous les beaux écarts de vôtre protégé Pindare.
Je vois Dieu merci, qu'il en était de ce temps là comme du nôtre. On se plaignait de l'envie en Grèce; on s'en plaignait à Rome; et je m'en moque quelquefois en France. Mais ce qui me fait plus de plaisir, c'est que je vois dans vos vers énergie et harmonie. Ce n'est pas assez, mon cher ami, pour la muse tragique, non satis est pulchra esse poemata, dulcia sunto et quocumque volent animum auditoris agunto.
On dit que nous aurons des actrices l'année qui vient. Vous aurez tout le temps de mettre Eudoxie dans son cadre. Faittes comme vous pourez, mais je vous conjure de rendre Eudoxie prodigieusement intéressante, et de faire des vers qu'on retienne par cœur sans le vouloir. Ce diable de métier est horriblement difficile. Je suis tenté de jetter dans le feu tout ce que j'ai fait quand je le relis; Jean Racine me désespère. Quel homme que ce Jean Racine, comme il va au cœur toujours tout droit!
Je suis bien mauvais correspondant; les travaux et les maladies dont je suis accablé m'empèchent d'être exact, mais ne dérobent rien à la sensibilité avec laquelle je vous aimerai toute ma vie.