A Ferney le 9 Mars 1772
Vous me faites un très-beau présent, mon cher ami. Vous rendez un grand service aux Lettres en faisant connaître Pindare. Votre traduction est noble & élégante, vos notes très-instructives. Je vous avoue que j'ai de la peine à m'accoutumer à voir ce Pindare couper si souvent ses mots en deux, mettre une moitié du mot à la fin d'un vers, & l'autre moitié au commencement du vers suivant.
Je sais bien que vous me direz que c'est en faveur de la musique; mais je ne suis pas moins étonnée de voir dès la première strophe,
Voudriez-vous mettre dans un opéra?
Que dites-vous de
On aurait pu, ce me semble, faire de la musique grecque sans cette étrange bigarrure. Les odes d'Anacréon étaient chantées, & Anacréon ne s'avisa jamais de couper ainsi les paroles en deux.
On prétend que les Rapsodes chantaient les vers d'Homère; mais il n'y a pas un seul vers d'Homère taillé comme ceux de Pindare.
Ce qui me paraît bien étrange, c'est de voir dans Horace
Il se donne souvent cette licence. Il n'y a pas moyen de réprouver une méthode qu'Horace adoptait. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que les Français se moqueraient de nous si nous prenions la liberté que Pindare & Horace ont prise. Passe pour Chapelle qui écrit au courant de la plume,
Au reste, je doute fort qu'on ait chanté toutes les odes d'Horace. Croyezvous que les dames Romaines & les hommes du bon ton, eussent goûté un grand plaisir à chanter à table cette chanson Persicos odi que Dacier a traduite ainsi?
'Laquais, je ne suis point pour la magnificence des Perses. Je ne puis même souffrir les couronnes qui sont pliées avec de petites bandelettes de tilleul. Cesse donc de t'informer où tu pourras trouver des roses tardives. Je ne demande que des couronnes de simple mirte, sans que tu y fasses d'autre façon. Le mirte sied bien à un laquais comme toi; & il ne me sied pas mal, lorsque je bois sous l'épaisseur d'une treille'.
Je doute encor que la bonne compagnie de Rome ait répété en chorus les horreurs qu'Horace reproche à la sorcière Canidie & à quelques autres vieilles.
Plusieurs savans prétendent que les trois quarts des odes d'Horace n'étaient point faites pour la musique. Mais enfin, ode signifie chanson; & qu'est-ce qu'une chanson qu'on ne peut chanter? On nous dit que c'est ainsi qu'on en use dans toute l'Europe; on y fait des stances rimées qui ne se chantent jamais. Aussi les amateurs de la musique répondent que c'est un reste de barbarie.
L'abbé Terrasson demandait sur quel air Moïse avait mis son fameux cantique au sortir de la mer rouge, chantons un hymne au Seigneur qui s'est manifesté glorieusement?
Il faut que je vous fasse une petite querelle sur votre Discours préliminaire, qui me paraît excellent. Vous appelez Cowlei le Pindare Anglais. Vous lui faites bien de l'honneur. C'était un poëte sans harmonie, qui cherchait à mettre de l'esprit partout. Le vrai Pindare est Dryden auteur de cette belle ode intitulé La Fête d'Alexandre, ou Alexandre & Timothée. Cette ode mise en musique par Purcel (si je ne me trompe), passe en Angleterre pour le chef-d'œuvre de la poësie la plus sublime et la plus variée. Et je vous avoue que comme je sais mieux l'anglais que le grec, j'aime cent fois mieux cette ode que tout Pindare.
C'est assez blasphèmer contre le premier violon du roi de Sicile Hieron. Je voudrais bien savoir seulement si on chantait ses odes en parties. Il est très-probable que les Grecs connaissaient cette harmonie que nous leur nions avec beaucoup d'impudence. Platon le dit expressément, & en termes formels.
Pardon de faire avec vous le savant.