1768-06-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

J'ai été si accablé de prose, mon cher ami, le siècle de Loüis 14 et de Loüis 15 me tiennent si fort au cœur, que je n'ai pas répondu à vôtre dernière lettre où il s'agissait de vers, mais il faut toujours revenir à ses premiers amours.
Je m'intéresse à vos vers plus que jamais. Faites en de beaux, de coulants pour Eudoxie comme vous en savez faire. Intéressez sur tout, c'est tout ce que je puis vous dire. Avec de beaux vers et de l'intérêt on va bien loin, de quelque façon qu'on ait tourné son sujet.

Puisque vous ne voulez point me faire part de vôtre Pindare je suis plus généreux que vous; je vous envoie une ode dans le genre comique adressée à ce Pindare il y a environ deux ans. Je sais bien ce qui arrive à quisquis Pindarum studet emulari, mais aussi Catherine Vadé studet duntaxat jocari.

Mandez moi je vous en prie où en est Eudoxie, quel parti vous prenez. Je vous assure que celà m'intéresse plus qu'un Carouzel russe. Je m'imagine que Paris va être inondé de chansons sur Avignon et sur Benevent. Rezzonico sera chanté sur le pont neuf, ou je suis fort trompé. S'il y a quelque chose de bon je vous suplie d'en régaler ma solitude.

On ne peut vous être plus tendrement attaché, et plus éssentiellement dévoué que le solitaire

V.