1759-12-20, de Charles de Brosses, baron de Montfalcon à Voltaire [François Marie Arouet].

Pax! vous tirez trop fort de votre côté.
Vous dites, mr partageons, et vous prenez ce que j'ay dans la main: c'est le partage de Montgomery. Ne perdons pas de vue nos propositions. Votre génie est si rapide que je me perds à vouloir vous suivre. Pindarum quisquis studet æmulari&c.

Revenons à nos moutons. Flemma, padron gentile: et écoutez moi de grâce un moment. Votre première proposition est, je vous offre 140 mlt. La mienne est: j'en demande 155 mlt. Votre seconde proposition est, Partageons le différend. Eh bien soit, partageons. Le différend est de 15 mlt. Le partage est 7500lt chacun. Or donc reste de votre part 147500lt. Sur quoy vous en avez payez 35 mlt. Reste 112500lt. Tous les Bernoullis du monde ne feroient pas une équation plus juste. Vous voyez que la plume à la main nous étions fort peu éloignez l'un de l'autre sur un marché de cette conséquence. Or donc, si le cœur vous en dit, je vous conseille de la meilleure foi du monde de finir. Vous vous faites là sous vos yeux une terre magnifique et tout d'une pièce. Que si vous n'y avez pas gusto, faites m'en compliment: car, en honneur, le cœur me saigne d'en parler. Vous m'ajoutez, que les gens que vous avez consultés vous conseille de n'en pas tant donner. De cela, j'en suis persuadé. Si vous en donniez cent rishdaller, ils diroient que c'est trop. Eh mon dieu, ne connoissez vous pas vos voisins; on diroit que vous estes arrivé d'avant hier chez eux.

Je vous rends mille grâces très humbles de la bonté que vous avez eu d'écrire un petit mot pour mes feuilles des fragmens de Salluste; car vraiment, c'est bien une autre histoire que le Jugurtha et que le Catilina. C'est un bâtiment immense dont j['ai] recherché les pierres tout l'hiver, et que j'ai ré-édifié de nouveau. Quant à l'autre écrit dont vous parlez; motus: je n'ay point de part à cela: il ne paroitra jamais de ma façon. Eh que diroit le pieux abbé de la Bletterie? que diroit le sçavant comte de Caylus? ils brûleroient l'ouvrage en holocauste devant une image du diacre Paris à califourchon sur un sphinx. Ne me faites point d'affaire avec les gens de lettres: aprez les gens d'église, je ne connois pas une plus mauvaise race.

J'attends ces jours cy la réponse concernant le procez continuel des noix. J'espère les trouver sine crimine vitæ. En tout cas comptez que j'y ferai de mon mieux pour vous servir. Ceci regardera bien autant les receveurs du domaine que le Parlement. En attendant ne dites pas trop que la justice finit au grand chemin. Cela pouroit vous nuire en d'autres occasions. Il passe pour constant que les seigneurs ont la moitié du lac chacun en droit soi: et souvenez vous de ce que vous avez dit ailleurs. Mon lac est le plus beau.

Vous sçavez les pourparlers de paix. L'ambassadeur d'Espagne a dit à ma belle mère que l'Angleterre paroissoit disposée à faire des propositions raisonables. Qu'ils se hâtent ces mrs les négotiateurs: ce sont les plus belles étrennes qu'ils puissent jamais nous donner.

Jane, fac æternos pacem pacisque ministros.

Voicy encore un second échec assez vif qu'a eu votre ami Frederic à Meissen. Icy le controlleur ne nous dit encore mot. Ce silence affecté ne me dit rien de bon. Je suis toujours en crainte que le reste de mes pauvres effets royaux ne soit crucifié pour la rédemption d'Israel. On parle de sacrifier la besogne du prédécesseur, et de mettre en place le cinquième. Ce seroit tomber de Carybde en Silla. Quand j'entends prononcer ce vilain mot obscène, je suis prez de m'enfuir ultra Saromatas. Il faut pourtant avant que de partir vous souhaiter quarante bonnes années. Vous me les donneray telles, tant que je vivrai, et quoiqu'il m'arrive d'ailleurs en me continuant l'honneur de votre amitié; puisque c'est la chose du monde dont je suis le plus flatté.