à Ferney 9e mars 1772
Vous me faittes un très beau présent, mon cher ami.
Vous rendez un grand service aux lettres en fesant connaître Pindare. Vôtre traduction est noble et élégante, vos notes très instructives. Je vous avoue que je ne saurais m’accoutumer à voir ce Pindare couper si souvent ses mots en deux, mettre une moitié du mot à la fin d’un vers, et l’autre moitié au commencement du vers suivant.
Je sçais bien que vous me direz que c’est en faveur de la musique; mais je ne suis pas moins choqué de voir dès la première strophe,
Voudriez vous mettre dans un opera?
Que dites vous de
On pouvait, ce me semble, faire de la musique grecque sans cette étrange bigarrure. Les odes d’Anacreon étaient chantées, et Anacréon ne s’avisa jamais de couper ainsi les paroles en deux.
On prétend que les rapsodes chantaient les vers d’Homère mais il n’y a pas un seul vers d’Homère taillé comme ceux de Pindare. Passe pour Chapelle qui écrivait en plaisantant au courant de la plume,
J’excuserais moins Coulange qui dit dans une de ses plattes chansons,
Gardez vous bien de me prendre pour un Grec sur tout ce que je vous dis là, car je suis l’homme du monde le moins grec. Je devine seulement que vous devez avoir eu une peine extrême à rendre en prose agréable et coulante vôtre sublime chantre des cochers grec, et des combats à coups de poing.
Il faut que je vous fasse une petite querelle sur vôtre discours préliminaire qui me parai excellent. Vous appellez Cawlei le Pindare anglais. Vous lui faites bien de l’honneur. C’était un poëte sans harmonie qui cherchait à mettre de l’esprit par tout. Le vrai Pindare est Dryden, auteur de cette belle ode intitulée La fête d’Aléxandre, ou Aléxandre et Timothee. Cette ode mise en musique par Purcel (si je ne me trompe) passe en Angletere pour le chef d’œuvre de la poësie la plus sublime et la plus variée, et je vous avoue que comme je sçais mieux l’anglais que le grec, j’aime cent fois mieux cette ode que tout Pindare.
C’est assez blasphémer contre le premier violon du roi de Sicile Hieron. Je voudrais bien savoir seulement si on chantait ses odes en parties. Il est certain que les Grecs connaissaient cette harmonie que nous leur nions avec beaucoup d’impudence. Platon le dit expressément et en termes formels.
Pardon de faire avec vous le savant;
Je ne connais point les vers de Clément, ni ne les veux connaître. Je suis émerveillé qu’un pareil petit homme qui n’a jamais rien fait qu’une détestable tragédie, refusée par les comédiens, se soit avisé d’insulter messieurs de St Lambert, Vatelet, Delisle, et tutti quanti, avec autant de suffisance que d’insuffisance. Marsias n’en avait pas tant fait quand Apollon l’écorcha. Il faut que ce polisson soit un bâtard de Frèron, comme Frèron est un bâtard de Desfontaines.
Adieu, mon cher ami; il faut qu’après avoir prêté des grâces, de l’ordre, de la clarté à vôtre inintelligible et boursouflé Thébain, qu’on dit sublime, vous vous remettiez à faire quelque tragédie ou quelque opera en français. Nôtre langue a autant de vogue qu’en avait autrefois la langue grecque. On parle français dans tout le nord où les Grecs étaient inconnus. Ranimez un peu nos muses qui languissent en plus d’un genre, etca.
Nous joindrons à cette Lettre une espèce d’ode de nôtre auteur, laquelle n’était en effet qu’une plaisanterie sur les odes, et qu’il envoia à L’impératrice de Russie quelques années auparavant. Il l’avait intitulée Galimatias Pindarique.