1761-10-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacob Vernes.

J'ai été malade, et de plus, très occupé, mon cher Prêtre.
Pardon si je vous réponds si tard sur le manuscrit indien; ce sera le seul trésor qui nous restera de nôtre compagnie des Indes. Mr de la Persilière n'a aucune part à cet ouvrage; il a été réellement traduit à Benares, par un Brame correspondant de nôtre pauvre compagnie qui entend assez bi[en] le français, et mr de Modave, commandant pour le Roy, sur la côte de Coromandel, qui me vint voir il y a quelques mois, me fit présent de ce manuscrit. Il est assurément très autentique et doit avoir été fait longtemps avant l'expédition d'Aléxandre, car aucun nom de fleuve, de montagne, ni de ville ne ressemble aux noms grecs que les compagnons d'Aléxandre donnèrent à ces païs. Il faut un commentaire perpétuel pour sçavoir où l'on est, et à qui l'on a à faire.

Le manuscrit est intitulé Ezour Vedam, c'est à dire, commentaire du Vedam. Il est d'autant plus ancien, qu'on y combat les commencements de L'Idolâtrie. Je le crois de plusieurs siècles antérieur à Pithagore. Je l'ai envoyé à la bibliothèque du Roy, et on l'y regarde comme le monument le plus prétieux qu'elle possède. J'en ai une copie très informe, faite à la hâte, elle est aux Délices et vous sçavez que j'ai prêté les Délices à mr le Duc de Villars.

Vous seriez bien étonné de trouver dans ce manuscrit quelques unes de vos opinions, mais vous verriez que les anciens brachmanes qui pensaient comme vous et vos amis avaient plus de courage que vous.

Il est bien ridicule que vous ne puissiez consacrer mon Eglise, et peut être plus ridicule encor que je ne puisse la consacrer moi même. Je vous embrasse au nom de Dieu seul.