à Ferney 14e juin 1776
Je ne puis trop vous remercier, Monsieur.
Le mémoire que vous avez eu la bonté de m'envoier est si instructif que je vous prie de m'instruire encor. Vous avez deviné la grande énigme des bracmanes. Elle ressemble à la période Julienne de Scaliger qu'on aurait prise au pied de la Lettre et dont un philosophe découvrirait la composition.
Ou je me trompe, ou les brames attribuent six cent mille années à leurs quatre jogues. Peut être qu'en se servant de vôtre méthode on pourait découvrir le mistère de ces siècles. La période serait curieuse. Elle servirait à faire soupçonner dumoins pourquoi les Caldéens, imitateurs des Indiens, prétendirent autrefois avoir des observations de plus de quatre mille siècles.
Il est certain que les Indiens furent les premiers de tous les hommes qui connurent la précession des Equinoxes. Ils ne se trompèrent que de deux secondes par année. Ne se pourait-il pas qu'ils eussent calculé une période de six cent mille ans sur la révolution résultante de leur sycle de vingt quatre mille ans fondé sur cette précession des équinoxes?
Mr Holwell et Mr Dow prétendent qu'on ne peut tirer aujourd'hui ces secrets que du petit nombre de Brames qui fouillent à Bénarès dans les ténêbres de leurs antiquités. Mais vous avouez, Monsieur, qu'ils sont peu communicatifs, et vous avez la bonne foi de nous faire entendre qu'ils ne méritent guères qu'on aille sur le Gange pour les interroger. Pour moi, Monsieur, c'est à vous seul que je prends la liberté de faire des questions. Trouvez bon que je vous demande si les noms des signes de leur Zodiaque ont toujours été les mêmes; et s'il serait vrai que les Grecs qui voiagèrent autrefois dans l'Inde, y eussent établi peu à peu les noms et les signes que nous avons reçus d'eux. C'est un sçavant Jésuite nommé Pons qui le dit dans sa Lettre au père Duhalde, Tome 26 des Lettres curieuses.
Je ne conçois guères comment les bracmanes, qui étaient si jaloux de leur science, auraient reçu de quelques Grecs un zodiaque étranger qui n'était nullement convenable à leur climat. Car s'il est vrai que les Grecs eussent désigné leur première Dodécatémorie par le bêlier parce que les agneaux naissaient d'ordinaire en Grèce au mois de Mars, et si leur second signe avait été un Taureau parce qu'on commençait les labours au mois d'avril; si une fille tenant en ses mains des épis de bled avait été le simbole du sixième mois comment des Indiens qui ne connaissaient pas le bled auraient-ils pu adopter ces signes?
Mais supposé que les Indiens regardez par les Grecs comme les précepteurs du genre humain et chez qui ces Grecs mêmes n'avaient d'abord voiagé que pour s'instruire, eussent pourtant tenu d'eux leur zodiaque pourquoy les bracmanes auraient ils substitué la constellation du chien à la constellation grecque du bélier? Je vous demanderais encor, s'il n'est pas vrai que la mythologie indienne soit l'origine de toutes les mythologies de nôtre hémisphère, et si on ne doit pas en être convaincu après avoir lu Mr Holwell et Mr Dow? Le gouverneur de la compagnie des Indes d'Angleterre que je vis à Ferney l'année passée, m'assura que tout ce que ces deux Anglais avaient écrit était très vrai.
Je vous demande pardon monsieur de vous faire des questions si frivoles, mais votre bonté m'a encouragé.
J'ay l'honneur d'être avec l'estime la plus respectueuse
Monsieur
vôtre….