1775-12-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Sylvain Bailly.

J'ai bien des grâces à vous rendre, monsieur; car ayant reçu le même jour un gros livre de médecine& le vôtre, lorsque j'étais encore malade, je n'ai point ouvert le premier, j'ai déjà lu le second presque tout entier, & je me porte mieux.

Vous pouviez intituler votre livre Histoire du ciel, à bien plus juste titre que l'abbé Pluche qui, à mon avis, n'a fait qu'un mauvais roman. Ses conjectures ne sont pas mieux fondées que celles de ce vieux fou qui prétendait que les douze signes du zodiaque étaient évidemment inventés par les patriarches juifs; que Rébecca était le signe de la Vierge, avant qu'elle eût épousé Isaac; que le Bélier était celui qu'Abraham avait sacrifié sur la montagne Moria; que les Gémeaux étaient Jacob & Esaü, &c.

Je vois dans votre livre, monsieur, une profonde connaissance de tous les faits avérés & de tous les faits probables. Lorsque je l'aurai fini, je n'aurai d'autre empressement que celui de le relire: mes yeux de quatre-vingt-deux ans me permettront ce plaisir. Je suis déjà entièrement de votre avis sur ce que vous dites qu'il n'est pas possible que différents peuples se soient accordés dans les mêmes méthodes, les mêmes connaissances, les mêmes fables & les mêmes superstitions, si tout cela n'a pas été puisé chez une nation primitive qui a enseigné & égaré le reste de la terre. Or il y a longtemps que j'ai regardé l'ancienne dynastie des Bracmanes comme cette nation primitive. Vous connaissez les livres de m. Holwel& de m. Dow, vous citez surtout ce bon homme Holwel.

Vous devez avoir été bien étonné, monsieur, des fragments de l'ancien Shastabad, écrit il y a environ 5000 ans. C'est le seul monument un peu antique qui reste sur la terre. Il a fallu l'opiniâtreté anglaise pour le chercher & pour l'entendre. Je soupçonnais ce gouverneur de Calcuta d'avoir un peu aidé à la lettre. Je m'en suis informé au gouverneur de la compagnie anglaise des Indes, qui vint chez moi il y a quelque temps, & qui est un des hommes les plus instruits de l'Europe. Il m'a dit que m. Holwel était la vérité & la simplicité même. Il ne pouvait assez l'admirer d'avoir eu le courage & la patience d'apprendre l'ancienne langue sacrée des Bracmanes, qui n'est connue aujourd'hui que d'un petit nombre de Brames de Bénarès.

Enfin, monsieur, je suis convaincu que tout nous vient des bords du Gange, astronomie, astrologie, métempsycose &c….. Je ne puis assez vous remercier de la bonté dont vous m'avez honoré.

Agréez, monsieur, l'estime la plus sincère & la plus respectueuse &c.

Le vieux malade V.