1738-02-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je vous envoye, mon cher amy, une lettre pour Le Prince royal en réponse à celle que vous m'avez dépêchée par L'autre voye.
Sa lettre contenoit une très belle émeraude accompagnée de Diamants brillants et je ne luy envoye que des paroles. Soyez sûr, mon cher Tiriot, que mes remerciments pour luy seront bien plus tendres, et bien plus énergiques, quand il aura fait pour vous ce que vous méritez, et ce que j'attends. Ne soyez point du tout en peine de la façon dont je m'exprime sur votre compte quand je luy parle de vous. Je ne luy écris jamais rien qui vous regarde qu'à l'occasion des lettres qu'il peut faire passer par vos mains, et que je le prie de vous confier. Je suis bien loin de paraître soupçoner qu'il soit seulement possible qu'il vous ait donné lemoindre sujet d'être mécontent. Quand je serois capable de faire cette balourdise L'amitié m'en empêcheroit bien. Elle est toujours éclairée, quand elle est si vraye et si tendre. Continuez donc à le servir dans le commerce aimable de littérature dont vous êtes chargé et soyez sûr encor une fois qu'il vous dira un jour, Euge, serve bone et fidelis, quia super pauca fuisti fidelis etc.

Vous vous intéressez à mes nièces. Vous savez sans doute ce que c'est que mr de la Rochemondiere qui veut de notre ainée. Je le crois homme de mérite puisqu'il cherche à vivre avec quelqu'un qui en a. Si je peux faciliter ce mariage en assurant vingtcinq mille livres, je suis tout prest, et s'il en veut trente j'en assurerai trente. Mais pour de L'argent comptant il faut qu'il soit assez philosophe pour se contenter du sien et de vingt mille écus que ma nièce luy aportera. Je me suis cru en dernier lieu dans la nécessité de prêter tout ce dont je pouvois disposer. Le prest est très assuré, le temps du payement ne l'est pas. Ainsi je ne peux m'engager à rien donner actuellement par un contract. Mais ma nièce doit regarder mes sentiments pour elle comme quelque chose d'aussi sûr qu'un contract pardevant notaire. J'aurois bien mauvaise opinion de celuy qui la recherche, si un présent de noce de plus ou de moins (qu'il doit laisser à ma discrétion) pouvoit empêcher le mariage. C'est une chose que je ne peux soupçonner. Je feray à peu près pour la cadette ce que je fais pour l'ainée. Leur frère, correcteur des comptes, est bien pourvu. Le petit frère sera quand il voudra officier dans le régiment de mr du Chastelet. Voylà toutte la nichée établie d'un trait de plume. Votre cœur charmant, et qui s'intéresse si tendrement à ses amis, veut de ces détails. C'est un tribut que je luy paye.

Je ne sçai de qui est Maximien. On la dit de l'abbé le Blanc. Mais quelqu'en soit l'auteur je serais très fâché qu'on m'en donnât la gloire si elle est bonne, et en cas qu'elle ne vaille rien, je rends les siflets à qui ils appartiennent.

J'achèteray sur votre parole le livre de l'abbé Bannier. Je compte n'y point trouver que Cham est l'Ammon des Egiptiens, que Lot est l'Eritrée, qu'Hercule est copié de Samson, que Baucis et Philemon sont imitez d'Abraham et de Sara, etc. Je ne sçai quel académicien des belles lettres avoit découvert que Les patriarches étoient les inventeurs du zodiaque, que Rebecca étoit la vierge, Esaü et Jacob les gémeaux. Il est bon d'avoir quelques dissertations pareilles dans son cabinet pour mettre à côté du poème de la Madeleine. Mais il n'en faut pas trop.

Empêchez donc mr Dargental d'aller à st Domingue. Un homme de probité, un homme aimable comme luy doit rester dans ce monde.

Mandez moy si ce que l'on publie touchant la cuirasse de François 1er est vray.