1739-07-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Ce nectar jaune de Hongrie
Enfin dans Bruxelle est venu;
Le duc d'Aremberg l'a reçu
Dans la nombreuse compagnie
Des vins dont sa cave est fournie,
Et quand Voltaire en aura bu
Quelques coups avec Emilie
Son misérable individu,
Dans son estomac morfondu,
Sentira renaître la vie:
La faculté, la pharmacie,
N'auront jamais tant de vertu.
Adieu monsieur de Superville,
Mon ordonnance est du bon vin,
Federic est mon médecin
Et vous m'êtes fort inutile,
Adieu, je ne suis plus tenté
De vos drogues d'apoticaire,
Et tout ce qui me reste à faire
C'est de boire à votre santé.

Monseig. c'est Mr Shilling qui m'aprit il y a [? très peu de] jours la nouvelle du débarquement de ce bon vin dans la cave du patron de cette liqueur, et mr le duc d'Aremberg nous donnera ce divin tonnau à son retour d'Anguien. Mais la lettre de votre altesse royale dattée du 26 juin, et rendue par le dit mr Shilling, vaut tout le canton de Tokaye.

O prince aimable et plein de grâce,
Parlez; par quel art immortel,
Avec un goust si naturel,
Touchez vous la lire d'Horace
De ces mains dont la sage audace
Va confondre Machiavel?
Le ciel vous fit expressément
Pour nous instruire et pour nous plaire.
O monarques que l'on révère,
Grands rois, tâchez d'en faire autant:
Mais hélas vous n'y songez guère.

Et avec toutes ces grâces légères dont votre charmante lettre est pleine, voylà mr Shilling qui jure encore que Le régiment de votre altesse royale, est le plus bau régiment de Prusse, et par conséquent Le plus bau régiment du monde, car omne tulit punctum est votre devise.

Votre altesse Royale va visiter ses peuples septentrionaux, mais elle échauffera tous ces climats là, et je suis sûr que quand j'y viendray (car j'iray sans doute, je ne mourray point sans lui avoir fait ma cour) je trouveray qu'il fait plus chaud à Remusberg qu'à Frascati. Les philosophes auront bau prétendre que la terre s'est aprochée du soleil; ils feront de vains sistèmes et je sauray la vérité du fait.

V.a. R. me dit qu'il luy a fallu lire bien des livres pour son anti-Machiavel. Tant mieux, car elle ne lit qu'avec fruit, ce sont des métaux qui deviendront or dans votre creuset. Il y a des discours politiques de Gordon à la tête de sa traduction de Tacite, qui sont bien dignes d'êtres vus par un lecteur tel que mon prince. Mais d'ailleurs quel besoin Hercule a t'il de secours pour étouffer Antée, ou pour écraser Cacus?

Je vais vite travailler à achever le petit tribut que j'ay promis à mon unique maître. Elle aura dans quinze jours le second acte de Mahomet. Le premier doit luy être parvenu par la même voye des srs Girard et compagnie.

On a achevé une nouvelle édition de mes ouvrages en Hollande; mais votre altesse royale en a baucoup plus que les libraires n'en ont imprimé. Je ne reconois plus d'autre Henriade que celle qui est honorée de votre nom, et de vos bontez. Ce n'est pas moy sûrement qui ay fait les autres Henriades. Je quitte mon prince pour travailler à Mahomet et je suis avec.