1739-07-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste de Boyer, marquis d'Argens.

Je suis encore à Anguien, mon cher ami, et je ne serai libre que vers la fin du mois.
Mandez moi donc de vos nouvelles et que je sache où je pourrai avoir l'honneur de vous embrasser. Vous êtes aussi paresseux avec vos amis que vous êtes diligent avec le public. La réputation est votre première divinité, si ce n'est Léontine; mais que l'amitié soit au moins la troisième. Elle est chez moi la première. Je sacrifie à cette idole tout, jesqu'à l'étude. Depuis 15 jours, figurez vous que ma philosophie passe ici ses journées à jouer la comédie et la nuit à jouer au brelan. Cependant il en faut revenir au travail, car le temps perdu dans le plaisir laisse l'esprit vide, et les heures employées à l'étude laissent l'âme toute pleine. Vous savez passer si bien du plaisir au travail que vous donneriez là dessus des leçons. Mars, Appolon, Venus sont des saints que vous savez très bien fêter. Faites moi donc un peu part de vos desseins, de vos études, de vos amusements et regardez moi comme le plus tendre de vos amis. Mon adresse, rue de la Grosse Tour, à Bruxelles.