De votre colombier, amoureux tourtereau,
Vous dont le tendre cœur et la philosophie
Se fixe et se concentre au giron d'Emilie,
Dites nous par quel art, par quel talent nouveau
Votre muse guerrière, à l'exemple d'Homère,
Nous chante les combats des rats et des souris.
Car l'adroit Prussien et l'Hongrois mal appris
Aux yeux de l'univers sont des souris, Voltaire,
Et ces lauriers fameux, perdus, gagnés, repris,
Et ces champs si féconds en combats, en carnage,
Dites, valent ils plus qu'on bon et gros fromage?
Si le peuple souris cherche des aliments,
Il ne fait qu'obéir à l'instinct de ses sens;
Mais l'homme qui se bat par l'appas de la gloire,
Ou bien pour acquérir un plus grand territoire,
Dans son plaisir fougueux est bien moins conséquent.
Nous serions tous pigeons près de vos tourterelles,
Goûtant un plaisir pur, un danger moins fréquent,
Si, quelquefois vautours, de nos serres cruelles
Il ne fallait vider de frivoles querelles.
Chaque mortel est fol dans un goût différent;
Nous donc que le destin a remis à Bellone,
Il faut, sans murmurer, remplir ce qu'il ordonne.
Qu'Epicure ivre et gai se mette à criailler;
Vous oubliez, relaps, que ma philosophie,
Prêchant la volupté, de douleurs ennemie,
Triste et l'œil abattu, vous a vu ferrailler;
Vous, tendre nourrisson, enivré de mes charmes,
Vous, sur qui les plaisirs attachaient leurs regards,
Vous quittez mes trésors pour des cruelles armes,
Et l'enfant de Cypris pour le farouche Mars.
Jugez nous, cher Voltaire, empoignez la balance;
Que le pampre et le myrte et le laurier fatal,
De leur feuillage épais formant une nuance,
Ombragent les degrés de votre tribunal;
Apprenez ce que c'est que la volupté pure.
Moi, dans ses douces lois métaphysicien,
Je goûte les plaisirs, sans forcer la nature,
La modération en est le vrai soutien;
L'usage les endort, l'absence les réveille,
Le travail est leur ombre, il hausse leurs couleurs.
Comme on voit dans les airs la diligente abeille,
Qui dans nos champs féconds butine sur les fleurs,
Des sucs expreints, filtrés du tilleul, de la rose,
Prépare la douceur du miel qu'elle compose,
Ainsi jusqu'aux travaux tout concourt aux plaisirs.
Une courte abstinence aiguise les désirs,
Et ce jeune homme en feu, au corps nerveux, robuste,
De la Vénus des Grecs n'eût pas souillé le buste,
S'il eût dans la mollesse absorbé sa vigueur.
Faites entendre ces vers à l'aimable Emilie,
Qu'elle juge du feu dont mon âme est remplie
Et combien plus qu'un buste elle en dit à mon cœur.
Après la sentence que vous venez de prononcer de votre Hélicon, je ne puis vous écrire qu'en vers. C'est une corruption dont je me sers pour captiver votre affection. Si vous étiez médiateur entre la reine d'Hongrie et moi, je plaiderais ma cause en vers, et mes vieux documents en rimes serviraient aux amusements de mon pacificateur. Il n'y aura pas assurément autant de lacunes dans l'histoire que vous écrivez qu'il se trouve de vide dans notre campagne; mais notre inaction ne sera pas longue et, si nous suspendons nos coups, ce n'est que pour les frapper dans peu d'une façon plus sûre et plus éclatante.
Adieu, cher Voltaire; lorsque vous faisiez la guerre à vos libraires et vos autres ennemis, j'écrivais, et à présent que vous écrivez, je m'escrime d'estoc et de taille. Tel est le monde.
Ne doutez point de la parfaite amitié avec laquelle je suis tout à vous.