A Paris le 18 août 1720
J'irai chez vous, duc adorable,
Vous, dont le goût, la vérité,
L'esprit, la candeur, la bonté,
Et la douceur inaltérable,
Font respecter la volupté,
Et rendent la sagesse aimable.
Que dans votre charmant séjour,
Je me fais un plaisir extrême
De parler sur la fin du jour
De vers, de musique, d'amour,
Et pas un seul mot du système. Peut-être les larmes aux yeux
Je vous apprendrai pour nouvelle,
Le trépas de ce vieux goutteux,
Qu'anima l'esprit de Chapelle;
L’éternel abbé de Chaulieu
Paraîtra bientôt devant dieu,
Et si d'une muse féconde,
Les vers aimables & polis
Sauvent une âme en l'autre monde,
Il ira droit en paradis.
L'autre jour à son agonie,
Son curé vint, de grand matin,
Lui donner en cérémonie,
Avec son huile & son latin,
Un passeport pour l'autre vie.
Il vit tous ses péchés lavés
D'un petit mot de pénitence,
Et reçut ce que vous savez,
Avec beaucoup de bienséance.
Il fit même un très beau sermon,
Qui satisfit tout l'auditoire;
Tout haut il demanda pardon
D'avoir eu trop de vaine gloire.
C’était là, dit il, le péché,
Dont il fut le plus entiché;
Car on sait qu'il était poète,
Et que sur ce point tout auteur,
Ainsi que tout prédicateur,
N'a jamais eu l’âme bien nette.
Il sera pourtant regretté,
Comme s'il eût été modeste.
Sa perte au Parnasse est funeste,
Presque seul il était resté,
D'un siècle plein de politesse.
Hélas! aujourd'hui la jeunesse
A fait à la délicatesse
Succéder la grossièreté,
La débauche à la volupté,
Et la vaine & lâche paresse
A cette sage oisiveté,
Que l’étude occupait sans cesse.
Pour notre petit Genonville,
Si digne du siècle passé
Et des faiseurs de vaudeville,
Il me paraît très empressé
D'abandonner pour vous la ville:
Le système n'a point gâté
Son esprit aimable & facile;
Il a toujours le même style,
Et toujours la même gaieté.
Je sais que par déloyauté
Le fripon naguère a tâté
De la maîtresse tant jolie
Dont j’étais si fort entêté.Un autre eût pu s'en courroucer;Mais je sais qu'il faut se passer
Des bagatelles dans la vie.